Le président américain, Donald Trump, et le juge de la Cour suprême, Anthony Kennedy, à la Maison Blanche, le 10 avril 2017. / Carolyn Kaster / AP

Editorial du « Monde ». La chance n’est pas à bouder en politique. La décision du juge Anthony Kennedy, nommé à vie à la Cour suprême par le président républicain Ronald Reagan, de prendre sa retraite cet été offre la possibilité à Donald Trump d’ancrer la plus haute juridiction américaine dans sa propre version du conservatisme pour au moins une décennie.

Considéré comme centriste, le juge Kennedy, Californien de 81 ans, joue un rôle pivot dans cette Cour de neuf juges nommés par les présidents successifs des Etats-Unis, confirmés par le Sénat, et dont les décisions façonnent la société américaine. Il a souvent, lorsque la Cour était partagée à quatre voix contre quatre entre opinions libérales et conservatrices, été celui qui la faisait basculer dans le sens décisif : sa voix, par exemple, a été déterminante dans la légalisation du mariage homosexuel.

Le choix de son successeur va permettre de retremper l’alliance initialement improbable entre Donald Trump, New-Yorkais jouisseur, deux fois divorcé, et le puissant courant évangélique qui pèse sur le Parti républicain. L’éventualité d’une bascule libérale de la Cour suprême, en cas d’élection d’Hillary Clinton en 2016, avait conduit cet électorat à se mobiliser et à voter en se bouchant le nez pour le roi de l’immobilier. La nomination du très conservateur juge Neil Gorsuch à la Cour suprême dès le début du mandat du nouveau président a permis à cet électorat évangélique de s’accommoder des frasques d’une présidence chaotique. Le départ d’un juge qui n’hésitait pas à voter avec ceux de l’autre rive ne sera pas regretté à droite.

Vaste mouvement de nominations

L’âge avancé de la doyenne de la Cour suprême, Ruth Bader Ginsburg, 85 ans, icône libérale, et de Stephen Breyer, 79 ans, également nommé par un président démocrate, permet même aux conservateurs de rêver d’une réorientation à droite, encore plus profonde, de la plus haute instance judiciaire. Depuis deux ans, le Parti républicain a prouvé que la fin justifiait les moyens en la matière. Après avoir bloqué en 2016 la confirmation d’un juge modéré nommé par Barack Obama au nom de la proximité des élections générales, le Grand Old Party (GOP) se prépare désormais à remplacer Anthony Kennedy à un train d’enfer, pour éviter toute mauvaise surprise aux élections de mi-mandat, prévues en novembre. Le GOP a ensuite rompu avec la règle qui imposait un consensus minimal pour une nomination de cette importance (un seuil de 60 voix sur 100), pour propulser Neil Gorsuch à la Cour suprême.

Ce sentiment de puissance peut alimenter l’hubris. Le camp conservateur ne fait pas mystère de sa volonté de revenir sur l’arrêt historique, Roe v. Wade, qui protège le droit à l’avortement. Le mariage homosexuel, reconnu en 2015, peut également devenir une cible, et bien d’autres mesures progressistes.

Le Parti républicain n’a pas limité ses ardeurs à la Cour suprême. En systématisant les manœuvres d’obstruction contre les juges fédéraux choisis par Barack Obama, puis en les bloquant, ce parti a permis à Donald Trump de procéder à un vaste mouvement de nominations qui devrait modeler durablement le système judiciaire américain. L’efficacité de cette offensive conservatrice doit rappeler aux démocrates que l’équilibre des institutions n’est acquis en soi que sur le papier. A terme, c’est toute la fabrique sociétale américaine qui peut se trouver attaquée.