Elle était sur la route du marché, accompagnée de deux voisines et de son bébé, âgé de quelques mois. Sylvie*, Ivoirienne, a été arrêtée par la police dans la banlieue d’Alger le 3 juin. « On a été embarquées à 16 heures et quelques heures plus tard, on était dans des bus pour Tamanrasset. »

Depuis août 2017, les autorités algériennes arrêtent régulièrement les migrants subsahariens et les expulsent à la frontière avec le Niger. Officiellement, il s’agit de rapatrier, à la demande de Niamey, des Nigériens exploités par une filière criminelle de mendicité. Mais si un accord entre les deux pays a bien été conclu fin 2014, des centaines de migrants non nigériens ont été également interpellés et expulsés depuis l’été dernier.

Marie*, une Camerounaise, raconte avoir été interpellée alors qu’elle était dans un taxi, en mars : « Les policiers ont arrêté le véhicule, m’ont fait descendre et m’ont emmenée au commissariat, où ils ont pris mes empreintes avant de m’envoyer à Zeralda. » Dans cette ville en bordure d’Alger, les migrants arrêtés dans la capitale sont regroupés au sein d’un camp qui servait pour les colonies de vacances. De là, ils sont ensuite envoyés en bus jusqu’à Tamanrasset, à 1 800 km au sud de la capitale.

« Le soleil et le vent étaient brûlants »

« Dans le bus, les gens du Croissant-Rouge m’ont donné de l’eau et des couches pour mon bébé, raconte Sylvie. Une fois à Tamanrasset, on m’a autorisée à aller acheter de l’eau et de la nourriture. Heureusement parce qu’une fois arrivés à la frontière, on ne nous a pas donné d’eau. » Là, les gendarmes algériens ont attendu que la mission de secours nigérienne, prévenue de l’arrivée des migrants, arrive. Dans des gros camions, les expulsés d’Algérie ont alors été acheminés jusqu’à Agadez, où ils ont été pris en charge dans le camp de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

« On a eu de la chance, nous n’avons pas été obligés de marcher dans le désert. Mais le soleil et le vent étaient brûlants, ma fille allait très mal pendant tout le trajet », raconte Sylvie. Son mari a vécu les choses différemment. Arrêté quelques semaines plus tôt alors qu’il travaillait sur un chantier de construction, retenu deux jours au camp de Zeralda puis encore vingt-quatre heures au camp de Tamanrasset, Kader* a été laissé à la frontière par les gendarmes. « Ils nous ont montré la direction à prendre et ils sont partis. Nous avons marché », raconte-t-il.

Sur les réseaux sociaux, les vidéos tournées par plusieurs migrants depuis le mois d’août 2017 montrent un scénario similaire : des dizaines de personnes, y compris des femmes et des enfants, transportées dans des bus jusqu’à Tamanrasset, puis dans de gros camions jusqu’à la frontière, puis à pied, sur le sable.

Durcissement de la politique migratoire

En mars, les arrestations se sont étendues à la ville d’Oran et un groupe de migrants a été expulsé à la frontière avec le Mali, signe d’un durcissement de la politique migratoire. Des personnes en situation régulière ainsi que des demandeurs d’asile ont également été interpellés. Selon des témoignages d’associations et de diplomates, au moins quatre étudiants subsahariens ont été arrêtés dans la capitale et envoyés à Tamanrasset, bien qu’ils soient en possession de cartes de séjour. Ils ont pu être relâchés lorsque leurs représentants diplomatiques sont entrés en contact avec les autorités algériennes.

Selon l’OIM, plus de 4 100 personnes ont été expulsées d’Algérie en mai. Et plus de 11 276 au total depuis septembre 2017. Les autorités algériennes, qui reconnaissent officiellement avoir expulsé plus de 10 000 personnes, affirment que ces expulsions se font en concertation avec les pays d’origine des migrants, « dans le respect de la loi et de la dignité », et dénoncent une « campagne de dénigrement contre l’Algérie ».

Certains estiment que ces expulsions sont la conséquence de la pression de l’Europe pour externaliser le contrôle de ses frontières. « C’est faux. Les Algériens refusent de discuter de la question migratoire avec nous », affirme un diplomate européen. Les organisations internationales qui ont demandé audience au ministère des affaires étrangères à propos de la politique migratoire n’ont obtenu aucun commentaire sur la question des expulsions. Pour la première fois, fin mai, des associations algériennes et des militants ont demandé la fin des arrestations et des expulsions dans une pétition qui a recueilli plusieurs centaines de signatures. Mercredi 27 juin, un nouveau convoi de presque 200 migrants expulsés d’Algérie est arrivé à Agadez.

*Les prénoms ont été changés.