La centrale de Cruas-Meysse, en 2016. / PHILIPPE DESMAZES / AFP

La sanction aurait pu être beaucoup plus sévère. Le tribunal de grande instance de Privas (Ardèche) a condamné, jeudi 28 juin, 19 des 22 militants poursuivis pour une intrusion, le 27 novembre 2017, dans la centrale nucléaire de Cruas-Meysse, à quatre mois de prison avec sursis. Trois des militants, qui avaient déjà été condamnés avec du sursis lors d’autres opérations de Greenpeace, ont aussi obtenu une peine de quatre mois avec sursis, assortie de dix-huit mois de mise à l’épreuve ainsi que d’une amende de 500 euros. Le « salarié » de Greenpeace, aussi poursuivi « pour complicité », Yannick Rousselet, directeur de la campagne nucléaire, a été relaxé.

Quant à l’organisation Greenpeace France, représentée lors du procès par son directeur général Jean-François Julliard, elle devra s’acquitter d’une amende de 25 000 euros, plus 50 000 euros au profit d’EDF pour préjudice moral. L’avocat d’EDF, Thibault de Montbrial, avait demandé lors de l’audience du 17 mai, que l’association soit condamnée à verser à son client la somme de 1,2 million d’euros, soit 500 000 euros pour le préjudice moral et 700 000 pour le préjudice matériel. Le préjudice matériel sera lui, évalué, par un expert et décidé lors d’une audience en décembre.

Le procureur avait, lui, requis 30 000 euros d’amende, six mois de prison avec sursis pour vingt des vingt-trois prévenus et quatre mois ferme pour les trois prévenus déjà sous le coup de peines avec sursis.

Satisfaction de Greenpeace… et d’EDF

En ne suivant pas les réquisitions du parquet, le tribunal de Privas allège donc l’addition pour les militants et l’organisation Greenpeace. Ce que ne manque pas de relever Jean-François Julliard : « On aurait préféré que nos militants soient relaxés, mais on est soulagés de ne pas avoir de prison ferme et que Yannick soit, lui, relaxé ». Quant aux amendes auxquelles son organisation a été condamnée, le directeur tente un trait d’humour : « Si au moins, cet argent était investi pour renforcer la sécurité des centrales… »

De son côté, EDF a réagi par l’intermédiaire de son avocat, exprimant sa satisfaction de voir l’ONG condamnée à 50 000 euros au profit de son client. « C’est un début de reconnaissance du préjudice qui découle des intrusions dans les centrales. Ces initiatives ont vocation à faire croire que la sécurité n’est pas suffisante, mais c’est une escroquerie intellectuelle, car c’est justement parce qu’il s’agit de Greenpeace que la réponse est graduée. Cette organisation dispose d’un budget annuel de 20 millions d’euros, recueillis par des donateurs privés qui sont, notamment, séduits par ce type d’opération », juge Thibault de Montbrial.

Si le jugement de Privas se montre plus clément que les réquisitions, il n’en a pas été de même quatre mois plus tôt. Le 27 février, le tribunal correctionnel de Thionville (Moselle) condamnait huit militants de l’organisation à des peines allant de cinq mois de prison avec sursis à deux mois de prison ferme pour une intrusion dans la centrale de Cattenom, le 12 octobre 2017. Yannick Rousselet, était condamné, lui, à cinq mois avec sursis tandis que le directeur général de Greenpeace France, Jean-François Julliard, se voyait infliger pour sa part une amende de 20 000 euros. L’organisation a fait appel.

Durcissement de la confrontation judiciaire

Ce durcissement des peines a été rendu possible par le changement du cadre législatif. « Avant, les actions dans une centrale nucléaire se terminaient devant des tribunaux à compétence militaire, parce que l’accusation portait sur une intrusion dans un site intéressant la défense nationale, et la peine encourue était de six mois de prison, soit les militants étaient poursuivis pour violation de domicile, et risquaient un an », rappelle l’avocat Alexandre Faro. Mais le contexte sécuritaire qui succéda aux attentats, dont celui de Charlie Hebdo en janvier 2015, a changé la donne.

La loi 2 juin 2015 relative au renforcement de la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires prévoit de punir d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende toute personne s’introduisant sans autorisation dans l’enceinte d’une centrale. Mais un article de cette loi alourdit à cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende l’addition, si l’intrusion est « commise en réunion » et qu’elle est « précédée, accompagnée ou suivie d’un acte de destruction, de dégradation ou de détérioration ». « Ce sont clairement les actions de Greenpeace qui sont visées par ce texte », estime l’avocat Alexandre Faro.

Pour autant, ce nouveau contexte judiciaire et la première condamnation à de la prison ferme, à Thionville, ne semblent pas de nature à faire reculer les militants antinucléaires. « Avec de la prison ferme, EDF et la justice sont complètement hors sujet. Cela ne règle en rien le problème de la dangerosité des centrales, on casse juste le thermomètre », estime ainsi Titouan Billon, jeune activiste montpelliérain, de 27 ans, l’un des prévenus de Privas. Si EDF vise Greenpeace aussi durement, c’est bien qu’on les menace, qu’en ciblant la vulnérabilité des piscines de combustibles usagés, qui ne sont pas suffisamment protégées – si tu fais un trou dans les 30 cm de béton qui les entoure, c’est le drame –, on a touché un problème très sensible. » La France compte 63 piscines de stockage du combustible usé, dont 58 pour les réacteurs en activité. En octobre 2017, Greenpeace publiait un rapport établi sur la base d’une étude menée par sept experts internationaux indépendants, concluant à la vulnérabilité de ces piscines. « Si le bâtiment réacteur est lui protégé par une enceinte de confinement renforcée, les piscines de combustible usé, elles, ne sont pas protégées », dénonce l’organisation.

Des militants toujours volontaires

Pour Yannick Rousselet, il ne fait aucun doute qu’EDF, atteint par la campagne de Greenpeace sur les piscines de stockage, veut qu’elle cesse : « C’est un point qui leur fait mal dans le contexte actuel. Ils sont en difficulté financière, et le renforcement de la sécurité de ces piscines, indispensable vu la situation de menace terroriste maintenue, coûte très cher : entre 700 millions d’euros et 1,4 milliard par piscine, selon l’agence WISE [World Information Service on Energy, une agence qui a réalisé des rapports sur l’énergie nucléaire pour l’Unesco, le Parlement européen, le CNRS…]. »

Le directeur de Greenpeace France ne doute pas non plus qu’EDF veuille durcir le ton. « Ils ont changé de stratégie juridique, ils veulent par tous les moyens nous dissuader de continuer l’action, avec des peines de prison ferme pour les militants et des sommes astronomiques à payer pour l’organisation », dénonce Jean-François Julliard.

Pas sûr pour autant que la gravité des peines réduise les velléités des militants antinucléaires qui, chaque fois, prennent le risque de ces intrusions dans des enceintes, censées être hautement surveillées. « Mais, c’est sûr qu’avec une famille, des enfants, on se posera la question différemment, ajoute le chanteur occitan Titouan Billon. La loi prévoit cinq ans d’emprisonnement, alors, au pire, dans cinq ans, ce sera un mauvais souvenir, mais une catastrophe nucléaire serait bien plus grave qu’un mauvais souvenir. »

Même constat pour Lina Nekipelov, autre militante s’étant introduite dans l’enceinte de la centrale de Cruas. « Si on prend des peines de prison, c’est sûr que l’on réfléchira individuellement avant de faire des actions. On n’exposera pas quelqu’un déjà condamné, mais d’autres militants prendront le relais pour soulager ceux qui ont du sursis », avance cette militante de Chambéry, architecte de 46 ans, qui a découvert, avec l’action de Cruas, les joies de la garde à vue.