Annoncé comme « historique », le sommet européen des jeudi 28 et vendredi 29 juin, à Bruxelles, risque surtout d’être long, et très tendu. Les vingt-huit dirigeants de l’Union européenne (UE) ont une très longue liste de sujets communs à aborder, du commerce mondial menacé par Donald Trump à la proposition française d’un budget pour la zone euro, en passant par les négociations du Brexit, dans l’impasse. C’est cependant la question des migrants qui focalisera toute l’attention.

Le sujet s’est mué en une nouvelle crise majeure pour l’UE à la suite du refus du ministre italien de l’intérieur, Matteo Salvini, d’ouvrir encore les ports de son pays aux bateaux des ONG venant en aide aux naufragés en Méditerranée. Pour la chancelière allemande Angela Merkel, sommée, elle, par son ministre de l’intérieur, Horst Seehofer, de trouver une solution « européenne » d’ici à la fin du mois. Et pour le président français Emmanuel Macron, qui continue à prêcher pour une solution « européenne respectueuse des valeurs de l’UE ».

Le tout fait oublier que les flux de migrants sont, en fait, revenus à leur niveau d’avant 2015. La crise est d’abord politique, et elle est donc difficile à dénouer puisqu’elle ne se prête pas à des remèdes purement techniques. Tous les Européens sont désormais d’accord pour barricader au maximum les frontières extérieures de l’UE, pour refouler les migrants dits « économiques » et tenter de décourager les autres de prendre la route de l’exil. De vieux projets redevenus d’une brûlante actualité…

Certains (la Hongrie en tête) refusent toujours catégoriquement d’accueillir ceux qui ont acquis le statut de réfugiés. L’Italie, elle, conteste désormais le règlement de Dublin quelle juge inique parce qu’il lui impose, en tant que pays de première entrée, de porter l’essentiel de la charge des migrants venus d’Afrique du Nord.

Les Européens peuvent-ils dès lors trouver à s’entendre ? Voici le tour d’horizon des enjeux.

  • La solution des « plates-formes de désembarquement »

Donald Tusk, le président du Conseil européen, qui n’a jamais été partisan des quotas de répartition des réfugiés, suggère de plancher sur une proposition, encore vague, de « plates-formes » où seraient débarqués les migrants récupérés en Méditerranée, probablement sur les côtes d’Afrique du Nord. Le but serait avant tout, en décourageant les candidats à la traversée, de casser le modèle économique des passeurs.

Ces centres seront-ils fermés ? Qui acceptera de les gérer ? Accueilleraient-ils aussi les déboutés du droit d’asile ? Et, surtout, quels pays d’Afrique seraient prêts à accueillir de telles structures ? La Tunisie a déjà dit non, la Libye est dans une situation politique très instable. Faute de réponses précises, un officiel souligne : « Nous devons démontrer que nous pouvons être efficaces en aidant ceux qui sont dans le besoin [les réfugiés], mais aussi que nous sommes prêts à protéger nos citoyens. »

L’idée des plates-formes a été suggérée par le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR), qui n’a cependant formulé aucune proposition concrète. Dans un courrier daté du 18 juin et adressé à la présidence bulgare de l’UE, Filippo Grandi, haut-commissaire aux réfugiés, confirme que l’agence est prête à œuvrer à ce type de solution mais il insiste sur la nécessité de préserver le droit d’asile.

La Hongrie juge le concept intéressant. Le chancelier conservateur autrichien Sebastian Kurz, en coalition avec l’extrême droite, aussi. Il avait soutenu une formule du même type, mais dans les Balkans. La Suède, l’Allemagne, la France, émettent des doutes et s’inquiètent de la légalité du projet. Ils réclament un soutien explicite du HCR et de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

  • Les centres fermés de Paris et de Madrid

Afin de ne pas devoir gérer au cas par cas les accostages de bateaux affrétés par les ONG, Paris et Madrid avancent une autre solution : des centres fermés dans des pays de l’UE. Ces « hot spots améliorés » serviraient de centres de désembarquement mais seraient opérés au niveau européen, avec des agents de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) par exemple.

Où localiser ces « centres » ? En Italie, alors que Matteo Salvini refuse catégoriquement de nouveaux « hot spots » dans son pays ? A Malte, en Corse, à Valence ? La France et l’Espagne ne l’indiquent pas mais réclament, elles aussi, le soutien du HCR et de l’OIM… La position de Rome aurait évolué au cours des derniers jours, assure une source bruxelloise.

  • Les exigences italiennes

Le gouvernement de Giuseppe Conte serait prêt à envisager un système de « partage de l’accueil » pour des migrants sauvés en Méditerranée, mais l’Italie réclame que cet accueil ne s’effectue plus systématiquement dans ses ports. D’autres ports méditerranéens devraient accepter des « hot spots », ou des « centres fermés » – ce qui semble revenir au même.

Jusqu’ici, Paris s’est abrité derrière le droit de la mer, qui énonce qu’en cas de sauvetage les passagers doivent être débarqués dans le « port sûr le plus proche », pour éviter d’avancer le nom d’un port français.

Le problème – surtout pour l’Allemagne –, c’est que le gouvernement italien conditionne son feu vert à une limitation des « mouvements secondaires » de demandeurs d’asile dans l’UE à un accord sur l’accueil des naufragés.

  • Le casse-tête allemand des « mouvements secondaires »

Sur ce thème, Angela Merkel fait face à une fronde de son alliée, la CSU bavaroise. Son ministre de l’intérieur, M. Seehofer menace de refouler à la frontière tous les migrants ou demandeurs d’asile venus d’un autre pays de l’UE.

La chancelière a promis de ramener de Bruxelles une solution « européenne ». Un paragraphe des conclusions du Conseil a été rédigé pour l’aider : il précise que « les Etats membres devraient prendre toutes les mesures internes nécessaires – législatives et administratives – pour lutter contre de tels mouvements et coopérer de manière étroite entre eux à cette fin ». C’est cette disposition que Rome menace de bloquer.

Ces solutions, ou ces exigences, ne sont pas toujours exclusives ou contradictoires. Certains, dont l’Italien Matteo Salvini, n’ont toutefois pas forcément intérêt à accepter un accord rapide sur un sujet devenu leur fond de commerce.

Et la réforme de la convention de Dublin dans tout cela ? Reportée sine die.