Editorial du « Monde ». C’est vrai dans la vie en général et, plus encore, quand on va voir son banquier : mieux vaut être riche et bien portant que pauvre et malade ! C’est ce que démontrait crûment, en octobre 2017, une enquête menée par l’Union nationale des associations familiales (UNAF) et 60 millions de consommateurs : les 3,6 millions de clients en situation de fragilité financière se font prélever, en moyenne, 296 euros par an pour incidents de paiement. Un consommateur en difficulté sur cinq se voit même prélever plus de 500 euros de pénalités, ce qui dégrade un peu plus sa situation, déjà précaire.

Les banquiers ne manquent pas de plaider que ces lourdes facturations couvrent les frais occasionnés par les incidents de paiement de ces comptes fragiles. Elles se gardent bien, en revanche, d’admettre que le montant de ces pénalités dépasse largement les coûts de gestion. Et pour cause : ­elles peuvent représenter jusqu’à un tiers des revenus des grandes banques de détail, soit plus de 6 milliards d’euros par an, selon l’enquête de l’UNAF.

Depuis des années, les pouvoirs publics ont tenté de corriger cette situation. Ainsi, toute personne résidant en France, si ­modeste soit-elle, a droit à l’ouverture d’un compte bancaire. En cas de refus, elle peut faire appel à la Banque de France, qui désignera un établissement et l’obligera à ouvrir ledit compte. Toutefois, cette démarche, souvent perçue comme humiliante par les particuliers, est de moins en moins utilisée.

Quant à la difficulté à laquelle sont ­confrontés les ménages modestes concernant les pénalités en cas de défaut de provision, deux dispositifs ont été mis en place pour la corriger. Depuis 2008, la tarification du rejet de chèque a été réglementée et plafonnée. Et, en 2013, la loi de séparation des banques a introduit la notion de « population en situation de fragilité financière » et prévu, à son intention,l’accès à une ­« offre spécifique » pour limiter certains frais d’incident. Cette offre basique et bon marché plafonne pour ses bénéficiaires les commissions dites « d’intervention » (lors d’un paiement sans provision) à 20 euros par mois.

u bon vouloir de chaque établissement

En dépit de ces règles, le problème reste entier. Et massif, comme l’a démontré l’enquête de l’UNAF. Sous la pression du ministère de l’économie, les banques sont désormais prêtes à faire un geste. Pour les clients les plus fragiles, qui peuvent bénéficier de l’offre spécifique créée par la loi de 2013, ­elles vont proposer de mettre en place un plafond global pour l’ensemble des frais d’incidents bancaires.

C’est un pas dans la bonne direction. Mais un pas trop modeste. En effet, ce plafond ne sera pas contraignant, relèvera du bon vouloir de chaque établissement et risque, dans l’état actuel des discussions, de rester trop élevé. En outre, seuls 10 % des personnes en difficulté éligibles à l’offre spécifique en bénéficient aujourd’hui. Rétives à accueillir les clients impécunieux, les banques sont très loin d’en faire la publicité. Et elles y seront d’autant moins enclines si elles ne peuvent plus facturer comme elles l’entendent le traitement des incidents de paiement.

Les banques, si peu populaires dans l’opinion publique, auraient pourtant tout intérêt à redorer leur blason en ne tirant pas bénéfice de leurs clients les plus fragiles. Elles gagneraient plus vertueusement leur vie en facturant au juste prix d’autres services bancaires dont bénéficient les personnes plus aisées, comme les prêts immobiliers.