Lors d’un oral d’admissibilité à une grande école de commerce. / Caroline Pain / Le Monde

« Vous indiquez sur votre C.V. que vous faites de la course à pied, à quelle fréquence, quel genre ? », demande le jury. La jeune femme répond en souriant : « Oui, en fait, je fais de la course d’orientation. Ça veut dire qu’on doit retrouver notre chemin dans une forêt, grâce à ça j’ai développé des qualités d’endurance, de réflexion. Dans votre école, j’aimerais bien d’ailleurs monter une association pour organiser une course d’orientation. »

Clara* fait partie du millier de candidats convoqués aux oraux d’admission parallèles. Ce concours s’adresse aux étudiants détenteurs d’un DUT ou d’une licence. Si les élèves de classe préparatoire sont la plupart du temps majoritaires au sein des grandes écoles de commerce, depuis quelques années, ces dernières ouvrent leurs portes à d’autres profils.

Le but de ces oraux est justement de découvrir le candidat. Cerner sa personnalité et approfondir son idée de projet professionnel, voilà en général ce qui préoccupe les jurys des oraux d’admission aux grandes écoles de commerce. Le projet en question n’a pas nécessairement besoin d’être abouti. Ce qui importe, ce sont surtout « les réflexions autour de leur parcours, ce qu’ils en retirent, et également, ce qui les amène ici », explique Gaël Gueguen, enseignant en stratégie d’entreprenariat à la Toulouse Business School (TBS).

A ses côtés, Sami Ben Amor, directeur marketing Thalès Alenia Space France, a été contacté par l’école de commerce toulousaine en tant que représentant du monde du travail. Selon les deux jurés, deux critères sont importants : « la capacité à apparaître comme quelqu’un avec qui on a envie de travailler », dit l’enseignant, et pour Sami Ben Amor, « ce qui compte c’est qu’il soit lui-même, peu importe la personnalité d’un candidat, l’important c’est qu’il ne joue pas un rôle, qu’il sache qui il est et où il veut aller ».

Avec les autres professionnels invités à être membres du jury, il a reçu quelques lignes directrices de la part de l’école pour les guider dans cet exercice. « Vous allez évaluer chaque candidat avec une lettre, de A pour les meilleurs à E pour les moins satisfaisants, et à l’issue de la demi-journée d’oraux, vous uniformiserez les notes pour en mettre une définitive », détaille Pierre-Yves Empis, responsable projets de développement partenariats à TBS. « Ce n’est pas un entretien de recrutement, recadre-t-il. Rappelez-vous qu’il y a deux ans, pour la plupart, ils étaient encore au lycée. Vous incarnez TBS, donc faites preuve d’exigence, donnez le sentiment qu’il s’agit d’un oral sélectif, sans pour autant être agressif. L’objectif est de savoir si cette personne serait un candidat idéal selon vous. »

Selon Gaël Gueguen, l’exercice ne relève pas d’une science exacte. « C’est effectivement assez complexe d’évaluer quelqu’un, c’est un sentiment qu’on a eu et, à partir de ça, on essaie de rationaliser ces éléments, explique l’enseignant. On remarque en général que des certitudes communes émergent et justifient tel ou tel choix. »

« On n’attend pas d’eux qu’ils connaissent déjà tout »

Comme les autres duos ou trios de jury, Gaël Gueguen et Sami Ben Amor évaluent les candidats lors d’un oral d’une vingtaine de minutes, à l’aide d’un court questionnaire que les étudiants remplissent en arrivant et, bien entendu, sur leur C.V. « Celui-ci était vraiment trop chargé et trop coloré », commente Sami Ben Amor en montrant un C.V. Gaël Gueguen, lui, au contraire, apprécie son originalité. Au-delà des goûts et des couleurs, ce que tous deux soulignent c’est l’importance de la clarté du C.V.

Sur celui de Noémie*, ils passent du temps à comprendre une formulation, « projet de » : l’a-t-elle fait ? Est-ce toujours au stade de projet ? Mais cela amène, finalement, à une discussion intéressante sur les envies de la jeune femme. Par contre, après le passage d’une autre candidate, qui avait veillé à amener plusieurs exemplaires de son C.V., le jury se rend compte que ceux-ci sont, en fait, différents : les noms d’entreprise ne sont pas exactement les mêmes, les dates ne sont pas dans le même ordre… Une confusion peu appréciée du jury qui tranchera en défaveur de la jeune femme, en partie à cause de cela.

Au-delà du parcours, le jury cherche à évaluer les connaissances et les idées du candidat : dans les domaines directement liés à l’école de commerce, comme le management, Brice* impressionne les deux membres du jury avec ses connaissances dans le service client, où il a déjà travaillé. Mais au-delà, le jury souhaite mesurer la curiosité, les appétences des candidats. « On teste un peu la culture générale, mais surtout leur envie de découvrir, d’apprendre, comme la candidate qui vient de passer, qui connaissait tout l’historique de son entreprise », observe Gaël Gueguen.

Noémie intrigue le jury quand elle raconte comment elle s’est battue, outrepassant l’opposition de ses enseignants pour, malgré tout, partir faire une année d’études à l’étranger. « Elle a eu un peu de culot, mais en même temps son travail a payé, elle a réussi à avoir la certification dont elle avait besoin pour partir », apprécie Sami Ben Amor. D’autres questions plus anodines peuvent aussi intervenir dans la conversation, les pôles d’« intérêt » ou les « hobbys » sont souvent l’objet de questions.

Ce qui importe également c’est la forme de l’entretien. Les deux membres du jury ont, par exemple, tranché en défaveur d’un candidat parce qu’il avait eu plus de mal à gérer son stress. « Le problème de la nervosité des candidats, c’est que cela nous gêne pour les cerner, on ne sait pas si c’est le stress qui, sur le moment, les empêche d’apparaître sous leur meilleur jour, ou s’ils sont de fait timides… », dit Gaël Gueguen. Le jury souligne l’importance évidente de la tenue choisie par les candidats. Si elle doit être formelle, elle peut aussi laisser transparaître une facette de leur personnalité.

En somme, il ne suffit pas simplement d’être sympathique. Si l’échange se passe bien, que le candidat est poli, c’est évidemment une bonne chose. Mais, comme le souligne Sami Ben Amor après le passage d’une étudiante, « elle est sympathique, oui, la discussion sur les grands classiques de littérature était intéressante, mais je n’ai pas eu envie de lui poser une seule question, et ça, c’est assez révélateur… »

* Les prénoms ont été modifiés.