Recueillement à Annapolis, où cinq personnes dont quatre journalistes ont été tués dans une fusillade, le 29 juin. / Jose Luis Magana / AP

Des ballons de baudruche aux couleurs des Etats-Unis, des drapeaux américains plantés dans le gazon, un ours en peluche, quelques bouquets de fleurs et une lettre jurant « de faire en sorte que les choses changent ». Comme souvent après une tuerie, un mémorial a été dressé à la hâte devant le cordon de police installé à quelques centaines de mètres des locaux de la Capital Gazette, le journal d’Annapolis (Maryland) où jeudi 28 juin, un homme de 38 ans, armé d’un fusil à pompe, a tué cinq personnes : Gerald Fischman, le responsable des éditoriaux, 61 ans, Robert Hiaasen, le rédacteur en chef adjoint, 59 ans, John McNamara, 56 ans et Wendi Winters, 65 ans, deux autres journalistes et Rebecca Smith, 34 ans, assistante marketing.

Sur le trottoir de ce carrefour sans âme, où s’alignent des bâtiments de briques abritant indifféremment banques, salons de beauté ou agences immobilières, les habitants passent déposer un bouquet ou se recueillir, à genoux, en prières. Pour Olivia Fox, venue en voisine, ce nouveau drame est « désolant ». « Que des gens puissent en arriver à prendre la vie d’autres personnes, c’est affreux. Il n’y a plus de respect pour la vie. Et surtout, il y a trop de colère : les sens ne savent plus gérer leurs émotions. Et si vous ajoutez des armes à feu là-dessus, vous obtenez ce genre de drame ».

Nouvelle norme

Enchaînant les interviews devant les caméras de télévision installées sur place depuis la veille, le maire d’Annapolis, Gavin Buckley, ne dit pas autre chose. « Ce type de tuerie ne peut pas devenir la nouvelle norme dans notre société. Il faut cesser d’être en colère et haineux dès que l’on n’est pas d’accord les uns avec les autres », insiste l’édile démocrate de cette petite ville portuaire plutôt chic, réputée pour sa base navale. « Je ne comprends pas ce qui arrive à cette société où des journalistes et des enseignants doivent s’inquiéter de voir entrer un tueur dans leurs locaux ». Près de 24 heures après le drame, le président des Etats-Unis, familier des violentes diatribes contre la presse, a aussi jugé « horrible » l’assassinat des quatre journalistes et de la responsable des ventes. « Les journalistes, comme tous les Américains, devraient pouvoir exercer leur métier sans la peur d’être victimes de violentes attaques », a-t-il déclaré.

Le meurtrier, Jarrod Ramos, entretenait une histoire tumultueuse avec ce petit journal, apprécié pour les résultats sportifs, les photos des événements de la région et son suivi de la politique locale. En 2012, il avait, sans succès, attaqué en diffamation la publication à la suite d’un article affirmant qu’il avait harcelé une femme sur Facebook. Il avait été débouté trois ans plus tard. Dans un tweet datant de cette époque, il avait proféré des menaces. « Je serai content de voir la Capital Gazette cesser de paraître mais ce serait mieux de voir Hartley et Marquardt [le journaliste auteur de l’article et le rédacteur en chef] arrêter de respirer ». Déterminé à clore cette affaire le rédacteur en chef ne l’avait pas poursuivi et, par la suite, le journal n’avait plus entendu parler de Jarrod Ramos. Jusqu’à jeudi, dans l’après-midi, lorsqu’il a fait feu dans les locaux non sécurisés du journal. Quelques minutes avant, son compte Twitter, inactif depuis deux ans, avait de nouveau été le réceptacle de sa haine. « Allez tous vous faire f…, laissez-moi tranquille ».

Echo prémonitoire

Fondé en 1727, le Capital Gazette fait partie de ses milliers de petites publications qui survivent tant bien que mal à travers les Etats-Unis ; il employait six reporters, deux photographes et cinq secrétaires de rédaction. Le maire a rappelé que ce journal n’était « ni de droite ni de gauche », juste un journal local avec des professionnels essayant de faire leur travail au mieux. A l’heure de la dénonciation systématique des « fake news » par une partie de l’opinion publique américaine, président des Etats-Unis en tête, les survivants de la tuerie, aidés par les journalistes du Baltimore Sun, membre du même groupe que la Capital Gazette, ont rendu compte du drame dans leur édition de vendredi matin et sur leur site internet durant toute la journée, promettant dans leur page réservée aux éditoriaux des « opinions informées ».

Comme un écho prémonitoire à ce drame, le journal a republié sur son site, l’éditorial de Gerald Fischman, l’une des victimes, rédigé après la fusillade dans un lycée de Parkland en février. Intitulé « Réveillons-nous de ce cauchemar national », il déplorait la répétition de ces tueries et les réactions qu’elles suscitent : « Horreur, deuil, veillées aux chandelles, articles sur les victimes, articles sur les signaux ratés concernant le meurtrier, débats enflammés sur les armes qui ne mènent à rien et puis, attente du prochain bain de sang ». Une veillée devait avoir lieu vendredi soir au centre-ville.