Kylian Mbappé, samedi 30 juin, à Kazan. / FRANCK FIFE / AFP

Quand il mettra un terme à son incroyable carrière de footballeur, nul doute que Kylian Mbappé se souviendra avec émotion du 30 juin 2018 et ce spectaculaire France-Argentine, remporté par les Bleus (4-3). Le match qui le propulsa, en mondovision, dans le cénacle des très grands joueurs. Tel un cheval fou avalant les obstacles, l’attaquant des Bleus, 19 ans, a terrassé, à lui seul, l’Albiceleste de Lionel Messi, à Kazan, en 8èmes de finale de la Coupe du monde.

Grâce aux incessantes percées et au magnifique doublé inscrit par leur prodige, les Tricolores disputeront les quarts de finale, programmés à Nijni Novgorod, vendredi 6 juillet, contre le vainqueur du duel entre le Portugal, champion d’Europe en titre, et l’Uruguay du tandem infernal formé par les buteurs Luis Suarez et Edinson Cavani.

On a rapidement compris que la clé du match se trouvait dans les jambes de feu de Kylian Mbappé, deuxième joueur le plus cher de l’histoire (180 millions d’euros), derrière son partenaire brésilien Neymar (222 millions d’euros). Dès l’entame de la rencontre, la défense argentine a volé en éclats, laissant des espaces - voire des boulevards - au véloce ailier du Paris-Saint-Germain. Lequel a humilié ses « gardes du corps » par ses accélérations et sa science du dribble.

Alors, pour arrêter la « fusée » française, Marcos Rojo et consorts ont commis un nombre invraisemblable de fautes. Sur l’une d’elles, Antoine Griezmann a manqué d’ouvrir la marque, son coup franc fracassant la barre transversale (9ème minute).

Puis, parti de sa moitié de terrain, Mbappé a fendu l’air et mystifié plusieurs défenseurs comme de vulgaires plots. A la traîne, Marcos Rojo n’a eu d’autre choix que de « sécher », dans sa surface, le jeune homme aux prédispositions de sprinteur (il a été flashé un jour à 37 km/h). Encore sous le choc après cette intervention irrégulière, le numéro 10 des Bleus grimaçait lorsqu’Antoine Griezmann a transformé le penalty (13ème minute) et mis son équipe sur de bons rails.

Chef d’œuvre

A force de martyriser l’arrière-garde adverse, Mbappé a provoqué un déluge de cartons jaunes dans le camp argentin. Averti, le pauvre Marcos Rojo a d’ailleurs été remplacé à la pause par son sélectionneur Jorge Sampaoli. Le retour en force des doubles champions du monde (en 1978 et 1986), qui ont un temps mené (2-1), a éclipsé les fulgurances de l’attaquant français.

Mais, à la 64ème minute, Mbappé a retrouvé la lumière et fait basculer la rencontre en faveur des Bleus. A la réception d’un ballon contré dans la surface argentine, il a éliminé un défenseur d’un crochet du droit avant de battre, d’une frappe à ras de terre du pied gauche, le gardien Franco Armani. Un pur chef-d’œuvre. Le regard malicieux, le joueur a célébré son but dans la touffeur de la Kazan Arena.

Kylian Mbappé, auteur d’un doublé face à l’Argentine, le 30 juin à Kazan. / FRANCK FIFE / AFP

Quatre minutes plus tard, le Parisien récidivait : mis sur orbite par Olivier Giroud, il a trompé avec sang-froid le portier argentin et réduit au silence les 15 000 supporteurs de l’Albiceleste. Comme s’il n’avait pas déjà suffisamment couru, Mbappé a alors sprinté jusqu’aux remplaçants français venus le congratuler. Remplacé en fin de match par Florian Thauvin, Mbappé a reçu une chaleureuse accolade d’un Didier Deschamps en dévotion.

« Kylian est un joueur pétri de qualités mais il a encore une telle marge de progression, a insisté le sélectionneur des Bleus, en conférence de presse. Il ne faut pas oublier qu’il n’a que 19 ans. Je suis déjà très content de ce qu’il fait. Il a montré tout son talent lors de ce match d’une importance capitale. Je suis très content qu’il soit français. » Avec trois buts au compteur dans ce Mondial russe, Mbappé (19 sélections, 7 buts depuis 2017) est en passe de devenir l’incarnation de « cette folie » qui anime, par intermittence, cette équipe de France si inconstante et anesthésiée lors du premier tour.

Monstre de précocité

Elu « homme du match », comme après sa banderille victorieuse (1-0) contre le Pérou qui l’avait consacré plus jeune buteur de l’histoire des Bleus en Coupe du monde, l’attaquant s’est présenté, tout sourire, devant la presse. Lui qui, lassé des critiques et commentaires désobligeants sur son manque d’implication dans les replis défensifs, avait décidé de parler le moins possible aux médias durant le tournoi.

Un journaliste lui a alors signifié qu’il était devenu le deuxième joueur de moins de 20 ans, après la légende brésilienne Pelé (en finale du Mondial 1958), à avoir inscrit un doublé lors d’un match à élimination directe de Coupe du monde. « Pelé est dans une autre catégorie mais c’est bien d’entrer dans cette sphère de joueurs », a répondu l’attaquant, véritable monstre de précocité (seul l’Anglais Michael Owen a fait mieux que lui, en 1998, en inscrivant au moins deux buts en Coupe du monde à seulement 18 ans et six mois).

La mort dans l’âme, Jorge Sampaoli a fait l’éloge de son jeune bourreau. « Mbappé a vécu une soirée incroyable, il nous a fait beaucoup de mal, a reconnu le sélectionneur argentin. Il était extrêmement difficile à contrôler aujourd’hui. On avait envisagé toute une série de choses qui pouvaient se produire, mais le football, ce n’est pas seulement en vidéo. Quand un joueur comme lui s’éclate comme il l’a fait, ça devient très difficile. »

« Il s’est même révélé aux yeux du monde entier »

Dans les couloirs de la Kazan Arena, les joueurs de l’équipe de France n’ont pas tari d’éloges à l’égard de leur buteur providentiel. « Dès qu’il a de l’espace il est quasiment intenable et il leur a fait mal, a souligné Hugo Lloris, le gardien et capitaine des Bleus. Je pense qu’il s’est même révélé aux yeux du monde entier aujourd’hui. »

Attendu comme le leader technique des Tricolores en Rusie, le décevant Antoine Griezmann s’est prosterné devant le « phénomène Mbappé ». « On a besoin d’un Kylian à ce niveau pour aller jusqu’au bout, j’espère qu’il va continuer comme ça. Et ce sera à nous aussi de lui donner les ballons », a confié le numéro 7 français.

Le milieu Paul Pogba a également tressé des lauriers à son coéquipier, de cinq ans son cadet : « Il a beaucoup plus de talent que moi. A son âge, si j’avais eu son talent, sa vitesse, tout ça… En tout cas, demain, vous savez ce que vous devez mettre sur le journal. » Les supporteurs français ne l’auront pas attendu pour ériger son jeune partenaire en héros.