Le président français, Emmanuel Macron, et la chancelière allemande, Angela Merkel, lors du sommet européen organisé le 28 juin, à Bruxelles. / Geert Vanden Wijngaert/AP

Editorial du « Monde ». Si les modalités sont floues, la philosophie, elle, est claire. L’accord auquel sont parvenus les Vingt-Huit, vendredi 29 juin à Bruxelles, consacre un tournant dans l’approche européenne de la gestion des flux migratoires : trois ans après la grande crise des réfugiés, qui avait suscité un élan de générosité en Europe du Nord et que les pays de première arrivée, riverains de la Méditerranée, avaient affrontée courageusement, l’Union européenne s’organise pour fermer ses portes et dissuader les candidats à l’émigration clandestine.

Si chacun des dirigeants est rentré chez lui, à l’issue de ce sommet de deux jours, en se déclarant satisfait malgré les failles évidentes d’un dispositif encore balbutiant, c’est parce qu’un consensus a été établi sur ce principe de base : l’Europe ne peut plus se permettre d’être grande ouverte, pas plus que ne se le permettent les Etats-Unis, le Canada, l’Australie ou la Russie. Elle doit continuer à accueillir des réfugiés, comme l’exige le droit international, mais ne veut plus accepter une immigration clandestine incontrôlée.

Tous les Etats membres n’ont pas la même motivation dans cette approche ; leurs divergences peuvent même être fondamentales. Les pays d’Europe centrale, emmenés par la Hongrie et la Pologne, refusent l’idée même d’une immigration susceptible de modifier la composition ethnique, culturelle ou religieuse de leur société. D’autres gouvernements, comme ceux de l’Italie et de l’Autriche, ont été récemment portés au pouvoir sur la promesse de ne plus laisser entrer un seul migrant. D’autres, enfin, comme ceux de l’Allemagne, de la France et de plusieurs pays du Nord, restent partisans de sociétés ouvertes, mais tentent désespérément d’endiguer la montée des partis populistes et de la droite radicale anti-immigration, à moins d’un an des élections européennes.

Le soldat Merkel est sauvé

La tension sur la gestion des flux migratoires menaçait l’unité de l’Europe. Elle menaçait aussi la chancelière Angela Merkel, ouvertement mise en demeure par ses partenaires de la CSU de durcir sa politique sur l’immigration. Un compromis a donc été trouvé pour repousser ces deux dangers : il repose sur le renforcement des frontières extérieures de l’Union et sur l’ouverture d’hypothétiques centres de regroupement des migrants, à l’intérieur de l’UE pour ceux qui sont déjà arrivés, à l’extérieur pour les candidats au départ, où le tri serait fait entre demandeurs d’asile et migrants économiques. Le soldat Merkel est sauvé – au moins pour l’immédiat, et avec le concours précieux de l’Espagne et de la Grèce, ce qui ne manque pas d’ironie –, l’unité de l’UE est préservée, et les pays d’Europe centrale peuvent crier victoire, débarrassés de l’idée des quotas de répartition des réfugiés.

Est-ce à dire que la question est résolue ? Evidemment non. Donald Tusk, le président du Conseil européen, a reconnu que la mise en œuvre de l’accord serait « difficile » et qu’il était « bien trop tôt pour parler d’un succès ». Pour Emmanuel Macron, qui a été à la manœuvre pour dégager un compromis, le texte « ne règle en rien, à lui seul, la crise que nous vivons, qui est largement politique ».

Car cette crise n’en est qu’à ses débuts : la fermeture des portes peut rassurer les électorats européens, elle n’empêchera pas les candidats au départ de prendre la route. L’urgence immédiate passée, c’est un phénomène de fond que les Etats membres doivent à présent intégrer, quelles que soient leurs motivations, dignes et moins dignes.