Les deux candidats finalistes à la présidence du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux et Alexandre Saubot, en avril. / JOEL SAGET / AFP

Il fut un temps où l’organisation patronale était considérée comme incontournable. Pilier de la démocratie sociale à la française, le Medef était de toutes les décisions, faisant entendre sa voix et celle des entreprises qu’il représente. Aujourd’hui, pourtant, une question semble émerger des rangs même de l’institution : à quoi sert le Medef ? C’est Patrick Martin, président de la fédération Auvergne-Rhône-Alpes, et ex-candidat à la présidence aujourd’hui rallié à Geoffroy Roux de Bézieux, qui la posait ouvertement, lors d’une réunion avec ses soutiens, le 14 mai, quelques semaines à peine avant le scrutin qui doit désigner un successeur à Pierre Gattaz.

Prévu pour le 3 juillet, le suffrage s’annonce serré. Pourtant, tous en conviennent, entre les deux finalistes – Geoffroy Roux de Bézieux et Alexandre Saubot –, pas vraiment de différence idéologique, preuve, s’il en faut, qu’il n’y a pas de bataille des idées au sein du Medef aujourd’hui. Dure sur la forme, la campagne, en cours depuis plusieurs mois au 55, avenue Bosquet, à Paris, a, pour nombre d’observateurs, réduit le fond à la portion congrue. De là à se demander si l’institution patronale a encore un rôle à jouer sur la scène politique française aujourd’hui, il n’y a qu’un pas.

Une utilité d’autant plus réduite, jugent certains, que la politique d’Emmanuel Macron se veut ouvertement favorables aux entreprises. Flexibilisation du marché du travail, transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi en baisse de charges pérenne, refonte de l’impôt sur la fortune, disparition de nombreuses contraintes liées à la pénibilité pour les employeurs… A quoi sert de faire du lobbying auprès d’un gouvernement déjà convaincu ?

Image passéiste

A cela s’ajoute la volonté affichée par le président de sortir les partenaires sociaux du jeu politique national. Les négociations ? Directement entre patronat et syndicats au sein des entreprises, et plus au niveau interprofessionnel.

« A quoi peut servir une organisation comme le Medef, quand on a un chef d’Etat pro-business, qui a repris une partie de leurs revendications avec un programme inspiré des milieux d’affaires et qui ne veut pas entendre parler d’intermédiation ? C’est plus facile et plus difficile. C’est une grande nouveauté, car cela ne s’est jamais passé comme ça », analyse Michel Offerlé, auteur, en 2013, des Patrons des patrons ; Histoire du Medef, (Odile Jacob). Pour lui, le président du Medef « a une voix officielle, mais il fait partie du vieux monde. Pour les députés macroniens, ce n’est pas leur monde ».

Cette image passéiste, accentuée par les prises de parole intempestives et les provocations de Pierre Gattaz, qui a estimé, en 2016, par exemple, que la CGT se comportait comme « des terroristes », semble en effet répandue en Macronie : « On a deux patronats en France, analyse un membre du gouvernement, il y a celui qui pense à la coopération et à l’innovation, et un autre qui se complaît dans les postures. Les chefs d’entreprise, aujourd’hui, ont un discours plus avancé que celui de l’organisation patronale sur nombre de sujets. »

« C’est une marque incroyable »

Les Français, eux, ne voient guère d’un œil plus favorable l’institution de l’avenue Bosquet. Selon un sondage OpinionWay, réalisé en avril, 66 % d’entre eux ont une mauvaise image du Medef. Et « 55 % des personnes interrogées pensent que le Medef, aujourd’hui, ne représente pas correctement les entreprises françaises », écrit même l’organisme de sondage. Il faut dire que des pans entiers de la nouvelle économie ne s’estiment pas représentés. « Où sont les propositions systémiques du Medef ? Le fait de ne rien faire est le résultat d’intérêts très contradictoires entre les fédérations. C’est particulièrement vrai pour les start-up qui ne s’y reconnaissent pas », juge M. Offerlé.

« Pour les entreprises, c’est une séquence qui se traduit par un peu plus d’incompréhension et d’éloignement, avec une organisation qui ne leur parle pas, dans laquelle elles ne peuvent pas s’exprimer et encore moins se reconnaître », a ainsi tranché, Jean-Charles Simon, ex-candidat dans une tribune à La Tribune, le 25 juin.

Dans ce contexte, fini le Medef ? Pas tout à fait, insistent les cadres de l’avenue Bosquet. « Ce qui n’est pas visible, c’est qu’indirectement, par le biais des fédérations adhérentes, on retrouve tout le monde. Ce maillage patronal a un rôle capital. Quand le moindre préfet veut faire une réunion économique, il appelle le Medef. La Confédération des petites et moyennes entreprises et l’Union des entreprises de proximité n’ont pas ce maillage », explique, par exemple, Jean-Claude Volot, ancien vice-président de l’organisation. « On a la chance d’avoir les grands patrons jusqu’aux start-up, se défend M. Gattaz, il y aura toujours une place pour le Medef. Il est connu nationalement et internationalement. C’est une marque incroyable. »

« Il va falloir se réinventer »

Viviane Chaine-Ribeiro, présidente de la fédération Syntec, elle, le reconnaît : « L’image du Medef n’a jamais été simple auprès de l’opinion. » Pour garder sa place, estime-t-elle, « il va falloir se réinventer, se transformer et se repositionner », concède-t-elle volontiers. Jacques Chanut, président de la Fédération française du bâtiment, admet que la période des grand-messes sociales interprofessionnelles est terminée. Mais il estime que la France a encore besoin « d’une incarnation de la parole patronale ». « Ce sera plus un rôle de représentation que de négociation. Il faut être le porte-parolat des patrons et faire de la pédagogie. »

Raymond Soubie, fondateur du groupe Alixio, spécialisé dans le dialogue social, en convient, mais il prévient : « Pour le futur président, tout un pan de son travail sera d’amener l’organisation patronale à se prononcer sur les sujets immédiats et à tracer des lignes d’avenir. Le Medef devrait avoir un corpus d’oppositions pratiques, mais aussi un cœur de doctrine. Ce qu’il n’a très peu, sinon pas. » Finalement, conclut un bon connaisseur des milieux d’affaires parisiens, « le Medef est méprisé de tous ceux qui n’y sont pas, mais c’est une sorte de légion d’honneur pour ceux qui y sont ».