Capture d’écran, le 22 juin 2018, du site du Clesi (Centre libre d’enseignement supérieur international), une école privée de forme associative auquel le tribunal de grande instance de Toulon, dans un jugement du novembre 2017, a ordonné de « cesser de dispenser des formations en kinésithérapie dans l’ensemble de ses établissements situés en France et notamment à Toulon et Béziers ».

Sur son site Web, le Clesi (Centre libre d’enseignement supérieur international) propose toujours, en vue de la rentrée 2018, une formation en quatre ans à la kinésithérapie « accessible dès l’obtention du baccalauréat », sans passer par la voie classique, la très sélective première année commune aux études de santé (Paces). Le prix est affiché – 10 200 euros par an –, mais pas la localisation des cours. Et pour cause : en novembre 2017, cette école privée de forme associative s’est vu ordonner par le tribunal de Toulon de « cesser de dispenser des formations de kinésithérapie dans l’ensemble de ses établissements situés en France, et notamment à Toulon et Béziers », en l’absence d’agrément ministériel. Le tribunal avait aussi interdit « de faire paraître sur les sites Internet du Clesi International et ESEM France toute mention de formation en kinésithérapie ou en physiothérapie ».

Contacté au sujet de cette offre en ligne, le ministère de l’enseignement supérieur explique qu’il « analyse la situation, sa compatibilité avec les décisions de justice qui ont déjà été rendues et les voies de droit qui lui sont ouvertes ». Sollicitée, la directrice du Clesi, Christine Ravaz, répond de son côté que « la spécificité du Clesi est d’appliquer le droit européen ». Elle rappelle que l’établissement a fait appel du jugement de novembre, et estime s’y conformer dans la mesure où ledit centre « n’a plus un seul étudiant inscrit en physiothérapie en France ».

Ses élèves actuels et à venir sont inscrits, dit-elle, « dans des universités de l’Union européenne ». Leur programme : deux ans à Irun, en Espagne, tout près de la frontière française, puis deux ans dans des établissements privés au Portugal. Christine Ravaz précise ne donner le nom de ces établissements qu’à ses élèves, mais assure qu’ils délivrent des diplômes d’Etat, permettant à leurs titulaires d’exercer dans tout pays de l’Union européenne. Le Clesi se présente ainsi désormais comme une « prépa » et un organisme d’accompagnement.

Contacté, le Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes « regrette la position du Clesi, qui continue de dispenser une formation alors que, d’une part, le TGI de Toulon a jugé cette formation illégale sur le territoire français et que, d’autre part, aucune reconnaissance de cette formation en kinésithérapie par l’autorité compétente portugaise n’est produite à ce jour. Cet entêtement est source de confusion pour les étudiants et pourrait leur porter préjudice ».

Un choc pour les étudiants

La décision de justice de 2017 avait causé un choc parmi les apprentis kinés du Clesi – ils étaient alors 500 à suivre l’une des quatre années de cursus, dont les deux premières se déroulaient à Béziers et Toulon. « A partir du moment où cette école était ouverte, et avait pignon sur rue, on ne pouvait pas supposer qu’elle était illégale, et nous n’avions pas été mis en garde », se souvient, amer, un ancien élève qui souhaite préserver son anonymat. Que faire ? « Il y a eu une décision à prendre rapidement pour savoir si on pouvait rester ou non dans cette école, c’était très difficile… », se rappelle-t-il.

Pour les nombreux élèves ayant déjà épuisé leurs deux chances au concours de Paces, l’alternative était de partir se former dans une université de l’Union européenne délivrant un diplôme d’Etat de kinésithérapie. Une solution qui nécessite de maîtriser la langue du pays, mais qui se développe, notamment en direction de l’Espagne et du Portugal… « Chaque année, 2 800 kinés reçoivent leur diplôme d’Etat en France. En même temps, 2 200 kinés diplômés à l’étranger, dont environ 1 200 Français, s’installent en France », souligne ainsi Jean-François Dumas, secrétaire général de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes de France, l’une des institutions ayant déposé un recours contre le Clesi.

Certains élèves auraient, de leur côté, rallié une école privée de Lugano, en Suisse, « une initiative que nous n’avons pas soutenue », explique Mme Ravaz, selon qui ce cursus mènerait à un diplôme hongrois. D’autres ont caressé l’idée de pouvoir rejoindre un institut de formation en masso-kinésithérapie (IFMK) à l’issue d’un test de niveau, mais « une telle dérogation ne serait pas autorisée par les lois qui régissent les études de santé », explique Jean-François Dumas.

L’étroitesse des possibilités dépite les étudiants qui avaient espéré que leur cas puisse être examiné : une concertation avait été demandée au ministère par l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes, le Syndicat national des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs (SNMKR) et la Fédération nationale des étudiants en kinésithérapie (FNEK), à l’origine de l’action en justice. En France, il reste aussi une dernière possibilité pour certains, mais elle est mince : s’inscrire « en L1 en Staps ou en science, lorsque ces dernières proposent quelques places en instituts », dans le cadre des expérimentations d’alternatives à la Paces en fac, détaille la FNEK.

Mais le nombre de départs d’élèves aura finalement été relativement limité. Si la centaine d’élèves de première année qui ont interrompu leurs études à peine commencées ont obtenu un remboursement, assure le Clesi, l’autre moitié de la promotion aurait continué, et serait en train de valider son année à Irun avec un partenaire espagnol. L’immense majorité des élèves de deuxième année est aussi restée au Clesi : dans une lettre aux élèves, à la suite du jugement, le fondateur du Clesi, Bruno Ravaz, avocat et ancien président de l’université de Toulon, qui en était aussi le directeur avant de céder la place à son épouse, s’était voulu rassurant. « Pour les étudiants inscrits en 2e année, les cours vont se poursuivre compte tenu des délais accordés par le tribunal et des voies de recours qui nous feront gagner du temps, écrivait-il. L’an prochain, tous ces étudiants seront en 3e année et inscrits au Portugal sous condition de réussite aux examens. »

Les quelques élèves de 2e année qui sont partis ont été remboursés de leurs frais d’inscription pour l’année en cours, mais pas de ceux de l’année précédente. « Certains anciens du Clesi n’ont pas été remboursés. Il peut y avoir un accompagnement des étudiants qui voudraient faire un recours », explique la FNEK. De son côté, la Fédération française des masseurs kinésithérapeutes (FFMK) avait déclaré, le 28 novembre 2017, qu’elle « continue son action pénale [engagée en septembre 2013] pour que justice soit rendue aux étudiants floués ainsi qu’à leur famille qui ont consenti des sacrifices financiers pour les inscrire dans un établissement n’ayant aucune légitimité à former des masseurs-kinésithérapeutes ». La FFMK conseille ainsi aux anciens étudiants de porter plainte pour éventuellement pouvoir se constituer partie civile en cas de procès. Mais le Clesi, de son côté, affirme « n’avoir pas été contacté, en aucune façon » par la justice depuis que la procédure a été lancée.

Les étudiants aujourd’hui en « deuxième année » à Irun partiront-ils tous étudier au Portugal l’an prochain ? Selon le Clesi, qui forme des kinés depuis sa création en 2012, 100 % de ses étudiants auraient été admis jusqu’ici en 3e année au Portugal et 100 % auraient validé ensuite leur diplôme en 4e année, après des stages, parfois en France, ce qui leur permettrait de revenir s’installer comme kiné dans l’Hexagone. Le Clesi n’a toutefois pas souhaité nous mettre en contact avec l’un de ses élèves.

« Nous sommes une prépa »

« Nous traduisons les supports de cours en ligne, nous envoyons nos professeurs au Portugal pour traduire les sujets d’examens en français, puis pour traduire les copies de nos étudiants en portugais : c’est ce qui facilite leur réussite », affirme Mme Ravaz. Ce contournement ne vaut que si les établissements partenaires délivrent bien un diplôme d’Etat permettant d’exercer, ce que le Clesi affirme, tout en refusant de rendre publiques les conventions passées avec ses partenaires étrangers. « Mais nous les montrons aux étudiants », insiste Mme Ravaz.

Pour le Clesi, l’histoire semble bégayer. En 2012, cet établissement privé avait ouvert une formation en odontologie pour former, là encore en contournant la Paces, de futurs dentistes. Baptisée « Université Fernando Pessoa », elle se voulait l’antenne française de cette université privée du Portugal, accueillant des élèves pour les premières années du cursus. L’année suivante, l’université portugaise, soucieuse de son image et de la publicité négative suscitée par cette initiative dans le sud de la France, rompait l’accord. Une décision de justice, confirmée en appel, a ensuite contraint le Clesi à arrêter les formations en odontologie en France.

L’entreprise du couple Ravaz n’avait pas été découragée : un campus pour les deux premières années d’odontologie a été ouvert à Dublin, en Irlande (au prix de 10 200 euros par an), avant que les élèves poursuivent encore une fois leur cursus au Portugal (8 000 euros par an en choisissant les cours de portugais, 6 450 euros sans cours). Quelques-uns des premiers aspirants dentistes du Clesi ont fait valoir, l’an dernier, leur diplôme portugais et obtenu l’autorisation d’exercer en France, provoquant une nouvelle polémique.