C’est un nom qui surprend. Thomas Guénolé, politologue coresponsable de l’école de La France insoumise (LFI), apparaît au sommaire du numéro 48 de la revue Krisis, consacrée à la « nouvelle économie ». Fondée en 1988 et toujours dirigée par Alain de Benoist, Krisis est née dans le creuset de la Nouvelle droite (école de pensée qui se situe entre droite et extrême droite, et qui voulait lier combat politique et combat culturel).

Cette « revue de débats » se veut l’égale des grandes revues françaises comme Le Débat, Commentaires, ou encore Esprit. L’une de ses spécificités est d’ouvrir ses colonnes à des intellectuels de gauche pour sortir de son isolement. Alain de Benoist en avait alors « assez d’être enfermé dans l’étiquette de la Nouvelle droite ». Une tradition qui perdure donc trente ans plus tard.

Cependant, la présence de M. Guénolé, qui a toujours développé des positions aux antipodes de la Nouvelle droite interroge. Et pourrait brouiller l’image de La France insoumise, puisque Thomas Guénolé est l’un de ses représentants les plus médiatisés et qu’il devrait être l’un des des candidats sur la liste de LFI aux élections européennes de mai 2019.

« J’apporte la contradiction à la pensée d’extrême droite »

Pas sûr, en tout cas, que La France insoumise, qui n’a pas été prévenue selon M. Guénolé, apprécie. Contacté, Manuel Bompard, homme fort du mouvement populiste de gauche, n’a pas donné suite. Thomas Guénolé, lui, justifie sa présence au nom du débat. « Il y a deux écoles : soit on ne parle pas à l’extrême droite, soit on débat pour lui porter la contradiction. Je n’ai aucune connivence intellectuelle avec la Nouvelle droite, mon parcours en atteste. Mon texte le prouve : j’apporte la contradiction à la pensée d’extrême droite », insiste M. Guénolé auprès du Monde.

Le texte du politologue « insoumis », intitulé « Peut-on sortir de la mondialisation ? » est tiré de son livre La mondialisation malheureuse (First, 2016). C’est une critique en règle de « l’identitarisme » politique de l’extrême droite à laquelle M. Guénolé préfère les forces « altersystèmes », incarnées notamment par les gauches alternatives. « L’identitarisme ne résout aucun des problèmes politiques prioritaires de notre temps : ni l’essor phénoménal du précariat, ni le pillage des richesses, ni le détraquement de l’écosystème. En ayant l’effet d’une diversion, il détourne l’attention des véritables enjeux ; ainsi conforte-t-il le système qu’il prétend dénoncer », peut-on lire.

M. Guénolé ajoute : « Opter pour le repli sur soi de l’identitarisme n’est pas non plus une approche viable. Cela consiste à classer les êtres humains selon des critères culturels sans base scientifique, que l’identitariste choisit lui-même (…). Dans les pays riches, la dynamique identitariste la plus marquée à l’heure où j’écris ces lignes est l’essentialisation des musulmans. »

Thibault Isabel, rédacteur en chef de Krisis, explique que c’est lui qui a proposé à Thomas Guénolé de le publier, il y a de cela un an. « Il n’était pas encore connu comme “insoumis” », note ce spécialiste de Pierre-Joseph Proudhon, qui vient de publier un livre sur l’anarchiste français (Pierre-Joseph Proudhon, l’anarchie sans le désordre, Autrement, 2017).

« Sa présence ne dénote pas dans Krisis, nous publions majoritairement des auteurs de gauche. Dans ce numéro il y a, entre autres, un entretien avec Bernard Stiegler [philosophe] et un texte de Cornélius Castoriadis [philosophe grec, 1922-1997, cofondateur avec Claude Lefort du groupe Socialisme ou barbarie], rappelle Thibault Isabel. Je ne suis pas un homme de droite, je défends des positions tolérantes. On n’est pas d’accord sur tout avec Alain de Benoist, qui est plus à droite et peut avoir des positions vues comme identitaires. » Il n’est pas sûr que tout le monde entende ces subtilités.