Un fan du Brésil embrasse une réplique de la Coupe du monde, le 2 juillet à Sao Paulo. / MIGUEL SCHINCARIOL / AFP

Les anciens, ceux qui ont connu la Coupe du monde de 1970, les dribbles de Pelé, la classe de Tostao, la folie de Rivelino et la puissance de Jairzinho, diront que c’est incomparable. Il n’empêche, ce lundi 2 juillet, après la victoire face au Mexique, le Brésil avait retrouvé un semblant de ferveur envers sa Seleçao. « Ça vient lentement, mais ça vient. Aujourd’hui, on n’a eu que du bonheur ! », assure Antonio do Arte de Lima, pétard à la main, drapé dans un drapeau brésilien.

Le patron du Bar dos Amigos do Futebol (« le bar des amis du football »), dans le quartier de Bixiga à Sao Paulo, a déjà vécu trois Coupes du monde derrière son comptoir : 2006, 2010 et 2014, et autant de scènes d’hystérie où l’allégresse des victoires le dispute au désespoir des défaites. Son plus grand souvenir ? Le pire sans doute : celui de ce 7-1 infligé par l’Allemagne à son équipe en demi-finale, il y a quatre ans.

Enivré par la qualification du Brésil en quart de finale, Antonio est aujourd’hui capable de relativiser le traumatisme. « Ça fait partie du jeu », dit-il. « Je n’y pense plus. Au total, la Seleçao nous a donné plus de joie que de peine », calcule aussi José Silva, gardien d’immeuble venu regarder la partie sur l’un des trois écrans du bistrot. Nous avions laissé les habitués du Bar dos Amigos do Futebol n’osant y croire après le premier match amical face à la Croatie, le 3 juin. Un mois plus tard, les voici prêts à suivre leur équipe jusqu’au bout. « Jusqu’en finale, c’est sûr. Brésil, champion ! », crie José Silva.

« Mais lève-toi Neymar ! »

La matinée a pourtant donné des sueurs froides aux supporteurs. Il est un peu moins de 11 heures, heure de Brasilia, quand les fans en maillots jaunes et verts, parfois bleus, se préparent au coup d’envoi. On klaxonne dans les rues, les boutiques baissent le rideau et les salariés s’éclipsent avec la bénédiction de leur patron. La chaîne TV Globo, qui retransmet la compétition, montre des stades bondés où ont été dressés des écrans géants. Au Bar dos Amigos do Futebol, on s’installe. Les femmes sont aussi attentives que les hommes.

Les minutes s’enchaînent alors, comme les Skol et les Brahma, les bières locales. « Antonio, on a besoin d’essence ! », lance Ednilson Alexandre Santagio, le voisin de table de José Silva montrant sa bouteille vide tout en pestant contre Neymar. « Mais lève-toi ! », s’agace-t-il tandis que l’attaquant vient d’effectuer une roulade dont il a le secret. « Quelle blague celui-là », souffle devant eux Karla Bradao, une coiffeuse, visiblement peu sensible à l’inventivité capillaire du prodige brésilien. A la table, tout le monde est d’accord pour dire que la vedette du PSG est vraiment mimimi (« chochotte »).

A la télé, le commentateur tergiverse sur la disparition ou non du joga bonito (le « beau jeu ») qui fit la réputation du pays, alors que la foule commence à s’interroger. Le Brésil sera-t-il à même de gérer sa charge émotionnelle ? Neymar, qui a fondu en larmes après une victoire laborieuse en match de poule face au Costa Rica, inquiète. On le rappelle à l’ordre. « Après Mbappé et Cavani, c’est le tour de Neymar ! » titrait en « une » le quotidien O Globo, lundi 2 juillet, espérant que le n° 10 se distingue enfin comme l’ont fait ses coéquipiers du PSG samedi 30 juin.

Feux d’artifice

Cruels, les médias brésiliens n’ont pas, non plus, manqué de souligner que l’autre attaquant, Gabriel Jesus, n’a pas marqué au cours des dernières 299 minutes de jeu. Une première pour un avant-centre de la Seleçao depuis le triste Mondial 1966 (élimination au premier tour).

« Le Mexique joue mieux », reconnaît, en serrant les dents, Ednilson Alexandre Santagio. Le gourou Imanol Ibarrondo, contacté par l’équipe mexicaine pour en finir avec les éliminations systématiques du pays en huitième de finale, aurait-il réussi son pari ? Pas sûr. En deuxième mi-temps, la Seleçao se réveille, observe le quotidien Folha de Sao Paulo dans son « live ». L’équipe brésilienne est agressive. A la 35e minute, Antonio, le patron, se prépare à lancer un pétard, mais la balle frise le but, sans rentrer. Ednilson et José en sont à partager une cinquième bière quand la salle explose après un premier but de Neymar. « Un but allongé », souligne, avec une pointe de raillerie, Karla Bradao.

L’optimisme gagne, mais on retient son souffle quand Neymar hurle après s’être fait piétiner la cheville par le Mexicain Layun. Puis quand Tite, le sélectionneur, décide de faire entrer Firmino. « C’est pas lui qu’il fallait ! », s’alarme José Silva. Le concierge termine à peine sa phrase que l’attaquant de Liverpool double la mise à la 88e minute. Dans la salle, on chante déjà « Ciao Mexico ! ». Au coup de sifflet final, Antonio peut enfin sortir les feux d’artifice. Une fois de plus, le Mexique rentrera chez lui, maudit des huitièmes de finale (septième élimination de rang à ce stade), se répétant : « On a joué comme jamais, on a perdu comme toujours. » Mais cette fois, le Brésil n’y est pas étranger.