Hervé Morin (Régions de France), Dominique Bussereau (ADF) et François Baroin (AMF), le 10 avril, à Paris. / Vincent Isore / IP3 PRESS/MAXPPP

La menace planait depuis la décision annoncée, le 26 juin, par l’Assemblée des départements de France (ADF) de ne pas participer à la prochaine Conférence nationale des territoires (CNT) qui doit avoir lieu le 12 juillet. Lors d’une conférence de presse commune, mardi 3 juillet, dans les locaux de l’ADF, les deux autres grandes associations d’élus locaux, l’Association des maires de France (AMF) et Régions de France, se sont jointes à cette décision de boycotter la prochaine CNT, ainsi que la réunion de l’instance de dialogue chargée de la préparer qui doit se tenir mercredi à Matignon.

« Nous n’irons pas demain à l’instance de dialogue et le 12 juillet à la Conférence des territoires, a confirmé Dominique Bussereau, le président de l’ADF, en introduction de la conférence de presse. Pour les départements, ce qui a fait déborder le vase, c’est la décision autoritaire de Matignon de ne pas remonter les droits de mutation pour les punir de ne pas signer les contrats financiers. On se paye notre tête. On ne peut pas à la fois nous mettre deux claques dans le visage et nous demander de collaborer au quotidien de façon amicale. » M. Bussereau a déclaré que le dialogue ne pouvait reprendre que si le gouvernement remettait des propositions sur la table.

« Les relations entre l’Etat et les représentants des collectivités ne marchent pas depuis un an. Le gouvernement a tout fait pour se mettre dans l’impasse, a estimé François Baroin, le président de l’AMF. Nous étions très favorables à la CNT, puisque nous l’avions demandé. Mais l’idée de la CNT, c’est de faire un pas l’un vers l’autre. Or depuis un an, les décisions sont prises de manière unilatérale. Naturellement, les maires de France sont solidaires des départements. Nous quittons collectivement la table des discussions. »

M. Baroin a déploré que les amendements au projet de loi constitutionnelle visant à garantir l’autonomie financière et fiscale des communes aient été « shootés » en commission.

Une forme de « mise sous tutelle »

Pour le président de Régions de France, Hervé Morin, « cette Conférence des territoires s’apparente à un simulacre de dialogue ». La décision d’en sortir a été prise, a-t-il assuré, « à l’unanimité » des régions. Selon M. Morin, « le comportement politique du chef de l’Etat relève du paléolithique ». Il a dénoncé le non-respect par le gouvernement de ses engagements dans la mise en œuvre des contrats de plan Etat-régions.

Cette décision collective intervient au lendemain de la publication par Matignon des résultats de la contractualisation prévue dans la loi de programmation des finances publiques afin de freiner la progression des dépenses locales. Sur les 322 collectivités territoriales entrant dans le champ de la loi (régions, départements, communes, métropoles et intercommunalités dont les dépenses de fonctionnement excèdent 60 millions d’euros par an), 228, soit 70 % d’entre elles, ont passé contrat avec l’Etat. Les trois grandes associations d’élus, pourtant, pour des raisons diverses, avaient appelé à refuser cette contractualisation, y voyant une forme de « mise sous tutelle ».

Le ton monte donc, une nouvelle fois, entre les représentants des élus locaux – du moins une partie de leurs organisations – et le gouvernement. Dans une tribune publiée mardi dans Le Figaro, les trois présidents de l’AMF, de l’ADF et de Régions de France estiment que « jamais depuis 1982 la décentralisation n’a été autant en danger ». « Nous n’avons plus confiance, déclarent-ils. Nous voyons de plus en plus clairement réapparaître un pouvoir technocratique et centralisateur. »

Le délicat équilibre de la fiscalité locale

Cette rupture, même si elle n’est peut-être pas définitive, n’en constitue pas moins un revers pour l’exécutif. La CNT avait été installée en grande pompe par Emmanuel Macron le 17 juillet 2017. Cette conférence, qui se réunit deux fois par an sous la houlette du premier ministre, doit être le creuset d’une nouvelle méthode entre l’Etat et les collectivités territoriales et du « pacte girondin » dont le président de la République se veut le défenseur. La méthode, de toute évidence, a du mal à prendre.

La décision annoncée mardi pourrait être d’autant plus préjudiciable qu’au menu de la prochaine CNT figure le dossier extrêmement délicat de la refonte de la fiscalité locale. Il s’agit en effet de dégager les pistes pour compenser la suppression totale de la taxe d’habitation à l’horizon 2020, en s’appuyant sur les préconisations du rapport remis le 9 mai au premier ministre par le sénateur (LRM) Alain Richard et l’ancien préfet Dominique Bur.

Le gouvernement devrait, lors de la réunion préparatoire du 4 juillet, dévoiler partiellement ses hypothèses de travail. Selon Les Echos du 3 juillet, il pencherait pour « un fléchage des parts départementales et intercommunales de la taxe sur le foncier bâti vers les communes », ce qui dégagerait un produit de 15 milliards d’euros suffisant pour compenser la perte de la taxe d’habitation. L’exécutif conteste toutefois ce scénario. « Nous n’allons pas prendre la part de la taxe sur le foncier bâti des intercommunalités pour les communes, seulement celle des départements », assure une source au cœur du dossier.

Ce transfert de la taxe foncière nécessite cependant une compensation de recettes fiscales équivalente pour les départements. « Les départements auraient une fraction d’impôt national, indique la même source. Il n’a pas été décidé lequel mais ce serait plutôt la TVA à ce stade de nos réflexions. » Depuis le début de l’année 2018, les régions bénéficient déjà d’une part de TVA en remplacement de la dotation globale de fonctionnement qui leur était auparavant attribuée.

La fiscalité locale, compte tenu de ses multiples implications, qui concernent directement les citoyens, est un délicat équilibre qui peut rapidement virer au casse-tête. Il est totalement improbable d’en faire évoluer les composantes sans que les principaux intéressés soient partie prenante. Aussi la décision prise par l’AMF, l’ADF et Régions de France de ne pas se rendre mercredi à Matignon et de boycotter la CNT du 12 juillet prend-elle tout son poids. Elle s’apparente bel et bien à une mise en demeure.