Le nouveau président méxicain Andres Manuel Lopez Obrador, à Mexico, le 1er juillet. / ALEXANDRE MENEGHINI / REUTERS

Editorial du « Monde ». Le Mexique expérimente à son tour le « dégagisme ». L’élection, dimanche 1er juillet, d’Andres Manuel Lopez Obrador (« AMLO ») à la tête du pays a fait voler en éclats le système politique traditionnel, dont le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) a été la clé de voûte depuis 1929.

La victoire du candidat de la coalition Ensemble, nous ferons l’histoire, qui disposera également d’une confortable majorité au Congrès, a réussi à faire vaciller ce que Mario Vargas Llosa appelait la « dictature parfaite ». En dotant AMLO de pouvoirs étendus, les Mexicains ont donné un signal clair de leur volonté de tourner la page avec un système gangrené par la corruption, le clientélisme et la connivence entre les élites politiques et économiques.

Le Mexique prend clairement ses distances avec la droite. Les orientations d’AMLO restent toutefois assez éloignées des gauches latino-américaines populistes vénézuélienne ou bolivienne, même si ses détracteurs ont tout fait pour l’associer au chavisme. Maire de Mexico (de 2000 à 2005), il avait d’ailleurs largement et efficacement collaboré avec le secteur privé local, tout en instaurant un système de pensions pour les personnes âgées et en développant les transports publics. Son futur ministre de l’économie, Carlos Manuel Urzua, s’est efforcé, pendant la campagne, de rassurer les marchés, assurant vouloir faire du Mexique « un pays social-démocrate, dans le sens nordique du terme ».

Des alliances hétéroclites

Le nouveau président, qui prendra ses fonctions en décembre, avait échoué à deux reprises à la présidentielle, en 2006 et en 2012. Cette fois, il a arpenté le pays, créant une relation de proximité presque magnétique avec le peuple mexicain. Pourtant, la question continue de se poser : qui est-il vraiment ? Et, surtout, sera-t-il capable de tenir ses promesses ?

Les alliances qu’AMLO a tissées sont si hétéroclites qu’il est difficile de prédire ce que sera réellement sa présidence. D’un côté, la présence d’un ex-industriel millionnaire, Alfonso Romo, comme directeur de cabinet est de nature à rassurer les milieux d’affaires, tandis qu’elle fait grincer des dents à gauche. De l’autre, il a formé sa coalition avec le Parti du travail (PT, gauche), qui veut une meilleure répartition des richesses, dans un pays où la pauvreté touche 43 % de la population, mais aussi avec le Parti rencontre sociale (PES, évangéliste), qui met pourtant homosexualité, avortement, insécurité et trafic de drogue sur le même plan.

La volonté réformiste d’AMLO doit être encouragée. Mais, à ce stade, la méthode pour y parvenir et les financements nécessaires restent flous. Il affirme qu’il va « pacifier le pays » en trois ans, un délai bien court pour démanteler un véritable narco-Etat, qui s’est infiltré dans la plupart des institutions publiques locales. Il prétend vouloir engager un programme de redistribution des richesses grâce à l’argent qui sera récupéré en mettant fin à la corruption. Mais, là encore, il s’agit d’une œuvre de longue haleine, qui nécessitera un changement profond des habitudes, où corrupteurs et corrompus sont les rouages d’un même mécanisme.

AMLO affirme qu’il suffit d’appliquer les lois et de donner l’exemple pour créer l’effet d’entraînement qui mettra fin à la violence et aux inégalités. Il faudra cependant plus que des mots et des discours ambigus pour incarner le changement voulu par les Mexicains. Sinon, la déception pourrait être inversement proportionnelle à la hauteur des espoirs suscités.