C’est un état des lieux inquiet qu’a rendu, mardi 3 juillet, la commission d’enquête parlementaire sur l’état des forces de l’ordre. Le constat dressé par les sénateurs Michel Boutant (groupe socialiste) et François Grosdidier (LR), à l’issue de six mois d’auditions, est en effet relativement alarmant sur le moral des policiers et des gendarmes, leurs moyens et leur organisation. Un malaise sous-estimé par leurs dirigeants. « Seule une remise en cause énergique et des réformes profondes [permettront] de remettre l’institution sur de bons rails », plaident les deux sénateurs en dressant une liste de 32 propositions.

L’un des principaux sujets sur lesquels s’est penchée la commission concerne les suicides. La question était à l’origine de la création de l’enquête parlementaire. Le fait que le taux de suicide chez les gendarmes (25 pour mille) et les policiers (29 pour mille) demeure plus élevé que la moyenne nationale (14 pour mille, soit 36 % plus élevé) est un indicateur de ce mal-être aux yeux des parlementaires. Et ce, au-delà même des difficultés intrinsèques du métier. Les différents plans de prévention du suicide pour la profession (en 2015 et mai 2018) ne pourront avoir d’impact que si « les conditions de travail » s’améliorent, estime le rapport.

Ce constat de la pente descendante empruntée par les forces de sécurité intérieure concerne particulièrement la police nationale, selon MM. Boutant et Grosdidier. Les gendarmes sont, eux, relativement protégés par le statut militaire des personnels et les réformes mises en place par le passé, estiment-ils. Les problèmes pointés par le rapport ne sont pas nouveaux : temps de travail, surcharge liée à la menace terroriste et à la gestion de la crise migratoire, turnover des effectifs en région parisienne, difficultés de logement, etc. Mais, aux yeux des parlementaires, la situation a atteint un seuil problématique.

Pénurie de munitions

Cette démonstration s’appuie sur un certain nombre de chiffres. Les heures supplémentaires travaillées sont passées de 7 % à 19 % depuis 2015. Le budget de la police nationale est consacré à hauteur de 90 % à la masse salariale pour seulement 10 % aux investissements, alors qu’il « faudrait un ratio de 70 %-30 % (…) pour que des effets se fassent sentir et que l’on commence à rattraper un retard de vingt ou trente ans ». Le rapport en appelle à ce titre à une idée de plus en plus partagée chez certains fonctionnaires : « l’adoption d’une véritable loi de programmation de la sécurité intérieure », comme peut en avoir la défense.

Malgré les importants crédits accordés par les différents plans de lutte contre le terrorisme depuis 2015, les sénateurs constatent que cet argent n’a pas été suffisant – ou du moins pas assez orienté – pour la rénovation du parc automobile et immobilier, ou encore l’achat de munitions. Au point que cette « pénurie (…) empêche de nombreux agents de faire le nombre minimal de tirs d’entraînement demandé ». Une situation connue, mais sur laquelle les parlementaires souhaitent à nouveau alerter.

Le rapport de la commission d’enquête s’inquiète aussi de l’organisation « en tuyaux d’orgue » de la police. Une organisation considérée de longue date comme nuisible à la gestion des ressources humaines, que ce soit en matière de management ou de gestion des trois corps de l’institution (gardien de la paix, officiers et commissaires). Les sénateurs n’hésitent pas en ce sens à dénoncer la trop forte « cogestion » à leurs yeux avec les syndicats et en appellent à une vieille idée, jugée trop coûteuse par le passé mais qui pourrait trouver une nouvelle traduction : la création d’une « académie de police ».

Désaffection inquiétante

MM. Boutant et Grosdidier n’ont pas pu mettre de côté le sujet devenu hypersensible chez les fonctionnaires de la réforme de la procédure pénale. Une procédure aujourd’hui unanimement perçue par les policiers et gendarmes de tous rangs comme un frein au bon déroulement des enquêtes. Une « simplification » pilotée par le ministère de la justice est en cours. Mais le texte est d’ores et déjà considéré comme « insuffisant », et l’effet repoussoir de la situation actuelle est devenu tel, selon le rapport, qu’il se traduit par une désaffection inquiétante des postes d’officiers de police judiciaire.

La sécurité publique est l’autre grand domaine où le malaise va croissant, d’après le rapport. Les sénateurs valident en ce sens le déploiement de la police de sécurité du quotidien lancée par le ministère de l’intérieur en février, tout en restant prudents sur ses éventuels effets. La difficulté à obtenir des « résultats » judiciaires, les mauvaises relations avec la population – malgré des efforts – et la politique du chiffre, qui n’a pas disparu, demeurent des points de préoccupation majeurs des troupes, selon eux. Les sénateurs en appellent notamment à poursuivre les réflexions sur la coordination avec les polices municipales quand elle est possible, et à continuer le déploiement des caméras-piétons.