A bord de « Tara », le 29 juin. / Samuel Bollendorff

Quatorzième jour de mer… Un automne précoce aspire Tara dans sa remontée vers Portland. En l’absence de vent, nous naviguons au moteur par 131 degrés nord et 43 degrés ouest, sous une bruine pénétrante qui confine les troupes à l’intérieur de la goélette et cause un embouteillage d’ordinateurs sur la table du carré.

« On se croirait à Terre-Neuve », grommelle le capitaine Yohann Mucherie, qui n’y a jamais mis les pieds, mais rêve sans doute secrètement de bourlinguer ailleurs que dans les mers chaudes. Notre pacha exagère un brin. De Terre-Neuve, nous n’essuyons pas la brume épaisse à couper au couteau, ni ne subissons le froid mordant, mais les températures ont tout de même vertigineusement chuté. Seize degrés dans l’eau pour 15 sur le pont ; Honolulu et son grand soleil ne sont plus qu’un lointain souvenir. Polaires et cirés intégraux sont de sortie sur le pont de Tara, qui s’est remise à rouler inexorablement de tribord à bâbord, à moins que ce ne soit l’inverse.

Sortie du gyre

Avec la pluie, l’effervescence de la chasse au micro-plastique est retombée, laissant l’observateur en proie à une forme de spleen. Lui qui – entre films, filaments, fragments, pellets et polystyrène de toute couleur – ne savait plus où donner de la tête, se trouve soudain désœuvré. Après trois journées, chacune scandées par une dizaine de traits de filets qui poussaient les scientifiques à se démultiplier pour remonter et trier cette riche collecte de micro-plastiques, la source semble s’être brutalement tarie.

A bord de « Tara », le 4 juillet. / Samuel Bollendorff

Les mailles et collecteurs des trois filets du bord ne piègent maintenant plus que du plancton et des algues. Tara retrouve ainsi le cœur de sa mission scientifique débutée en 2009. « Les concentrations de plastique que nous avons recueillies et observées ces derniers jours indiquaient que nous traversions alors le Great Pacific Garbage Patch [GPGP, vortex de déchets du Pacifique Nord], et l’échantillonnage que nous récupérons maintenant prouve que nous en sommes sortis, décrypte Maria Luiza Pedrotti, chercheuse en biologie marine au Laboratoire océanographique de Villefranche-sur-Mer (Alpes-maritimes) et chef de mission scientifique sur Tara. Hormis à l’approche des côtes, nous ne devrions maintenant plus guère trouver de plastiques. Du coup, nous allons réduire la cadence des filets manta dédiés aux micro-plastiques, sans relâcher notre effort par rapport à notre protocole sur les aérosols, l’océanographie et la génomique du plancton ».

La scientifique se réjouit d’avoir bénéficié d’une mer « presque plate » pour les collectes de micro-plastiques dans le gyre. « Ces conditions – idéales pour doubler, voire tripler, nos traits de filets en surface – étaient essentielles, mais loin d’être gagnées d’avance, explique-t-elle. La qualité de notre échantillonnage est hautement dépendante de la météo. » Même maussade, ladite météo ne dissuade en rien les messieurs de notre collectif de soulager leur vessie par-dessus bord à la poupe du bateau. Un plaisir inénarrable, confient les plus honnêtes. Un répit pour les deux chasses d’eau de mer du voilier, prétendent les autres.

C’est aussi une pratique à risque. Selon une statistique des gardes-côtes américains relayée à bord par Nils Haëntjens, doctorant en optique océanique de la School of Marine Sciences de l’Université du Maine, 15 % des « hommes à la mer » sont repêchés la braguette ouverte. Preuve qu’en matière de mictions en milieu marin, l’adage « une main pour soi, une main pour bateau » doit être suivi à la lettre et assorti du port de la brassière de sauvetage.

Remontée délicate vers Portland

Notre atterrissage, prévu dans deux jours environ, à Astoria, petite ville de l’Oregon située à l’embouchure de la rivière Columbia qui mène à Portland, ne sera pas forcément de tout repos. Selon les guides, la puissance de l’océan Pacifique, combinée au débit du cours d’eau, font de l’endroit une des zones maritimes les plus traîtresses du globe. Un pilote spécialisé embarquera donc sur Tara à quelques milles de la côte pour mener la goélette à bon port.

Elle sera alors immobilisée pour vingt-quatre heures afin de satisfaire aux formalités d’entrée sur le territoire américain, avant d’entamer la remontée de la Columbia, qui prendra toute une journée, avec à la barre un autre pilote américain spécialisé. Tara s’offrira ensuite quelques jours de relâche, avant de cingler vers San Diego, en Californie, pour poursuivre sa quête de données scientifiques.