L’avis du « Monde » – à ne pas manquer

Quatorze ans séparent le premier opus des Indestructibles du second, plus d’une décennie pendant laquelle Brad Bird, scénariste et réalisateur des deux films, s’est, entre autres, affairé à réaliser Ratatouille (2007) et signa l’étourdissant Mission : Impossible. Protocole Fantôme (2011). Cette excursion en dehors du cinéma d’animation prouva la cohérence de la vision du cinéaste (qui a reçu, en juin, un prix d’honneur au Festival du cinéma d’animation d’Annecy) et sa dextérité dans les deux genres, aussi à l’aise lorsqu’il s’agit de mettre en scène Tom Cruise ou un petit rat féru de gastronomie française en images de synthèse.

Si le premier Indestructibles était quasi contemporain des premières productions Marvel, le public qui découvrira Les Indestructibles 2 a depuis longtemps été gavé de pyrotechnies numériques produites à la chaîne. A priori, deux menaces pesaient sur Les Indestructibles 2 : le risque de ne pas pouvoir rattraper son retard par rapport aux prouesses du numérique et la malédiction du second volet. Pixar a d’ailleurs annoncé ne plus entreprendre de suites pour se concentrer sur des projets originaux. Le studio est sans doute bien au fait de cette règle qui veut que les suites soient incapables (à l’exception flamboyante de Toy Story 3) de relancer la magie des premières fois.

Bird permet au film d’action de redevenir un art de l’espace et un vertigineux prolongement du cinéma burlesque

Ces deux écueils, Les Indestructibles 2 les contourne sans difficulté. Plus qu’aucun autre réalisateur de l’écurie Pixar, Brad Bird perfectionne sa mise en scène à mesure que progresse la maîtrise de l’image de synthèse. La comparaison entre les deux opus parle d’elle-même : textures, gestes, visages et décors sont plus précis, l’aspect figé du premier volet a disparu. Mais, surtout, la vision de Bird devient subitement plus éloquente. Son style, qui s’affirme surtout dans les scènes d’action, gagne en sophistication et s’intensifie dans ce mélange de virtuosité et de ludicité qui est devenu sa marque de fabrique. C’était déjà le constat que l’on tirait de son Mission : Impossible : Bird permet au film d’action de redevenir un art de l’espace et un vertigineux prolongement du cinéma burlesque.

Souvenirs d’enfance

A la débauche illisible d’effets, Marvel répond par le travail d’orfèvre de l’action de Bird, qui n’oublie pas que Les Indestructibles pousse sur le terreau du film familial et y revient toujours. De même que le contexte des années 1960 dans lequel prend place l’intrigue est, pour le cinéaste, moins le signe d’une rétromanie gratuite qu’un désir de travailler avec la matière de ses souvenirs d’enfance qui mêlent comics et films d’espionnage.

Helen alias Elastigirl dans « Les Indestructibles 2 » (« Incredibles 2 »), de Brad Bird. / THE WALT DISNEY COMPANY FRANCE/PIXAR

Enfance et famille, Brad Bird tient fermement ce cap, car il contient l’âme même de sa petite saga ainsi que de la plupart des films Pixar. On retrouve la famille Parr là où on l’avait laissée. Dans un temps figé, une éternité heureuse que seul peut se permettre le cinéma d’animation. Mis au ban de la société, les super-héros doivent regagner leur place dans le cœur de l’opinion publique. Pour ce faire, Hélène alias Elastigirl est missionnée pour accomplir des sauvetages spectaculaires qui seront désormais filmés et diffusés à grande échelle. La figure maternelle en route pour l’action, son mari, Bob, se retrouve acculé à un rôle d’homme au foyer qu’il trouve frustrant.

Le film familial s’engouffre dans les plis du film d’action, et celui-ci vient illustrer les aléas de la vie de famille

Le film de super-héros se redéfinit à la faveur d’un montage parallèle qui entremêle les exploits de la mère et ceux, plus prosaïques, du père pour finir par les égaliser. Car Bob devient à son tour un super-héros du quotidien qui doit contenir une série de catastrophes : les premiers émois amoureux de sa fille Violette, les devoirs de mathématiques de Flèche (scène très belle où le père se réveille en pleine nuit pour venir à bout des devoirs du fils) et la croissance du petit Jack-Jack, métaphorisée par le surgissement de ses pouvoirs – le corps du nourrisson devenant le véritable ressort comique et expérimental des Indestructibles 2.

Le film familial s’engouffre dans les plis du film d’action, et celui-ci vient illustrer les aléas de la vie de famille. Car Les Indestructibles 2 ne fait finalement que prendre un long et beau détour pour traiter de la famille et des contradictions qu’elle renferme : étouffante et émancipatrice, dysfonctionnelle et harmonieuse, extraordinaire et très banale. En ne perdant jamais de vue cet horizon de quotidienneté, Les Indestructibles 2 permet au film d’action de garder les pieds sur terre. C’est peut-être cette dose de gravité qui, jusqu’ici, manquait au genre.

Les Indestructibles 2 - Bande-annonce VF

Film d’animation américain de Brad Bird (1 h 58). Sur le Web : disney.fr/films/les-indestructibles-2 et newsroom.disney.fr/les-indestructibles-2.html