Jean-Luc Mélenchon, en février 2017, lors de la présentation de son programme pour les législatives, avec notamment en face de lui l’économiste Liêm Hoang Ngoc. / FRANCOIS GUILLOT / AFP

Ce sont les premières lézardes qui apparaissent à La France insoumise (LFI). La publication, mercredi 4 juillet, de la liste ordonnancée de 66 noms − une liste de 33 noms de femmes, une autre d’autant d’hommes et treize places réservées pour des « candidatures d’ouverture » − en vue des élections européennes de mai 2019 suscite plusieurs contestations.

Dès lundi, les « socialistes insoumis », emmenés par l’économiste et ancien du PS Liêm Hoang Ngoc, ont décidé de « suspendre » leur participation au mouvement populiste de gauche. En cause : « La mise à l’écart de Liêm Hoang Ngoc, rapporteur sur la “troïka” au Parlement européen en 2014, dont chacun s’accorde à dire qu’il est la plus forte voix de La France insoumise pour porter ces propositions. » Un choix qualifié de « grossière erreur politique ».

Le lendemain, un ancien membre du comité électoral, Lilian Guelfi, dénonçait dans un entretien à Libération « un travail malsain », une « suspicion » généralisée. Le jeune militant évoquait aussi « une manipulation sciemment orchestrée ». « J’ai très vite déchanté en voyant que tout était en réalité déjà verrouillé par la direction au profit de petits arrangements entre amis et partis qui disposaient à l’avance de positions éligibles. Une liste de noms de membres du Parti de gauche à défendre nous a été transmise par une membre de la direction », a-t-il expliqué.

Les accusations visent nommément Manuel Bompard, chef d’orchestre de La France insoumise : « Je déplore que Manuel Bompard, le “chef” du mouvement, soit membre du comité électoral et en tienne la barre. Etant lui-même candidat, il est à la fois juge et partie. Cela pose un vrai problème d’indépendance du comité », assénait M. Guelfi.

« Quand on sort 66 noms sur 650 proposés, forcément cela génère des déceptions », estime Manuel Bompard

Le même jour, la Marseillaise Sarah Soilihi, l’une des « oratrices nationales » (équivalent de porte-parole), annonçait dans un message Facebook qu’elle retirait sa candidature. « Je regrette les polémiques qui se font autour du comité électoral de désignation de notre liste pour les élections européennes. En ce qui me concerne, au vu de la situation actuelle, je préfère retirer ma candidature tout en restant fidèle à mes valeurs, à La France insoumise et à ses militants en particulier marseillais (es) », écrit, sur le réseau social, la doctorante en droit et championne de kickboxing, qui avait été candidate de LFI aux législatives de juin 2017 dans la 3circonscription des Bouches-du-Rhône, à Marseille. Occupant la neuvième place de la liste des femmes pour les européennes, elle aurait été au mieux en dix-huitième position dans la liste définitive, ce qui rendait difficile son élection au Parlement de Strasbourg.

Sarah Soilihi, en mai 2017 à Villejuif (Val-de-Marne), lors d’un meeting avec François Ruffin. / PHILIPPE LOPEZ / AFP

« Quand on sort 66 noms sur 650 proposés, forcément cela génère des déceptions, estime Manuel Bompard, qui écarte tout favoritisme ou verrouillage. Lilian Guelfi a refusé de signer le rapport du comité, mais à aucun moment, il n’a émis une opposition pendant les discussions. » M. Bompard insiste également sur la « diversité sociale » de la liste LFI en prenant comme exemple Anne-Sophie Pelletier, 42 ans, aide médico-psychologique auprès de personnes âgées et syndicaliste, et Bernard Borgialli, 46 ans, cheminot, syndicaliste, un des leaders de la grève des cheminots à Marseille. Tous deux en position éligible.

Des tensions qui tombent mal

« On a eu près de 700 candidatures, c’est énorme, abonde Adrien Quatennens, député du Nord. On fait voter des militants tirés au sort, certains veulent se valoriser, c’est normal que cela arrive puisqu’on a pris du poids. » Mathilde Panot, députée du Val-de-Marne, relativise également : « Ce sont des problèmes d’ego. Deux personnes sont déçues, elles font une sorte de chantage… »

Si ces dissensions ne semblent pas à même de perturber durablement la campagne européenne des « insoumis », elles tombent cependant au plus mal. LFI voulait être en ordre de bataille dès l’été pour occuper le terrain, alors que ses adversaires sont loin d’être au même stade de préparation : les socialistes cherchent toujours une tête de liste, Génération. s et Europe Ecologie-Les Verts n’en finissent pas de se quereller pour savoir qui incarne l’écologie politique. De son côté, Jean-Luc Mélenchon travaille à élargir et à consolider son alliance avec d’autres mouvements européens dans le cadre du manifeste « Maintenant le peuple ».

Surtout, LFI était très fière de son processus de désignation. Le comité électoral qui décide de la liste est, pour 60 % de ses membres, tiré au sort. Et ce sont les militants qui ont le dernier mot puisqu’ils votent sur la proposition du comité. « Notre processus est transparent et innovant. Il n’y a pas beaucoup d’organisations qui ont un fonctionnement équivalent », souligne M. Bompard, qui l’assure : la démocratie sera respectée. Et si le vote des militants s’avérait négatif (les « insoumis » ont jusqu’au 20 juillet pour se prononcer), le comité électoral reverrait sa copie.