Samois-sur-Seine, samedi 30 juin, prélude au Festival Django Reinhardt, 50e édition : en coin de terrasse où l’on se sustente d’andouillettes et de merguez, guitaristes, contrebassistes et violons se relaient à l’amiable. Il suffit d’entendre Nuages amorcé, ce n’est ni fréquent ni évident, par le contrebassiste, pour se dire que tout est possible. Devant France-Argentine, regardé au bistrot du village, on apprendra qu’il s’appelle Tristan Larrieu. Ni site Internet, ni « carrière », il ne joue que pour le plaisir.

La musique de Django est un lexique, une syntaxe, un répertoire… Elle est surtout forme ouverte, œuvre ouverte, « philosophie musicale » que son petit-fils, David, né en 1986, guitariste, fils de Babik (1944–2001), qualifie avec netteté : « Cultiver sa propre sonorité, ses propres compositions, et garder les yeux ou plutôt les oreilles sur ce qu’il se passe de plus novateur dans la musique contemporaine, sans regarder en arrière… »

Naguine, femme de Django Reinhardt : « Dans le mouvement des arbres et de l’eau, il voyait de la musique »

Texte de présentation d’un coffret, The Ultimate Django, le dernier Django (1951-53), que publie opportunément le label Ouest (L’Autre Distribution). Où l’on voit qu’après une période de retrait, Django, aussi attentif à tous les courants révolutionnaires (Parker, Dizzy, Monk) en pleine « bataille du jazz », que fasciné par toutes les virtualités de l’amplification, amorce un virage favorisé par la réouverture du Club Saint-Germain. Ses fidèles ont du retard à l’allumage.

Lui se frotte aux jeunes musiciens (Hubert Fol, Maurice Vander, Pierre Michelot). On aura garde de prendre pour un hasard le fait que sa dernière séance (8 avril 1953) soit aussi la première du pianiste Martial Solal. Django s’est installé à Samois-sur-Seine, il pêche, joue aux cartes Chez Fernand, et la nuit, jusqu’à 2 ou 3 heures, il regarde la rivière à travers les arbres. « Dans le mouvement des arbres et de l’eau, il voyait de la musique, il ressentait tout cela, il en devenait fou, dit sa femme Naguine. Il me disait : Voilà la grande musique !” ».

Célébration de l’énergie créatrice

Emporté par une congestion cérébrale, il repose en famille au cimetière de Samois, rejoint désormais par Babik. Avec Jean-François Robinet, Maurice Cullaz, Jean-Pierre Bechtold, Babik avait inventé en 1968 le Festival Django Reinhardt : « partie de campagne » à la Renoir, dans la petite île de Samois, congrès de luthiers, autant d’amateurs que de grosses pointures, musique partout, le « plus petit des grands festivals » était aussi le plus grand. Pas seulement des petits. Célébration, certes, mais surtout, célébration de l’énergie créatrice.

Ce que l’on vérifie côté scène, samedi, pendant le prélude gratuit à Samois-sur-Seine, avec Romane, Pierre Bertrand Caja Negra 7tet (Minino Garay, stoïque aux percussions), et les Schmitt, Samson et Dorado. Ambiance retrouvée sur la place du village, l’évolution de l’événement ne s’est pourtant pas faite sous péridurale. En janvier 2017, la décision de déplacer à Fontainebleau, dans le parc, le « village des luthiers » et les gros événements, est prise sous le coup des précautions anti-attentats. Ce qui permet, dit son programmateur artistique Sébastien Vidal (également directeur de la radio TSF, du Duc des Lombards et du Nice Jazz Festival), « de s’élargir et d’accueillir les stars comme les talents émergents ».

Les fondateurs canal historique ont vu dans ce déplacement plus qu’un oubli du projet initial

Les fondateurs canal historique (Jean-Pierre Bechtold s’exprimera dans la presse) ont vu dans ce déplacement plus qu’un oubli du projet initial. Un délai sépare désormais l’ouverture gratuite à Samois-sur-Seine (30 juin) des concerts au parc du château de Fontainebleau (du 5 au 8 juillet). Il ne manquera effectivement personne. De Sanseverino à George Benson, en passant par le brillant violoniste Mathias Lévy et Bireli Lagrène, Hugh Coltman, Marcus Miller et Snarky Puppy, ils viendront tous, seront tous là. Bataillera-t-on longtemps pour savoir si l’on a remplacé ce qu’on ne voyait nulle part par ce qu’on entend partout ? Signe des temps ? Evolution logique ?

Festival Django Reinhardt, du 5 au 8 juillet, dans le parc du château de Fontainebleau. www.festivaldjangoreinhardt.com