Nicola Lusuardi, dramarturge et scénariste. / SÉRIE SERIES

La 7e édition du festival Série Series, qui réunit chaque année des créateurs, des scénaristes et des producteurs, s’est tenue, du 26 au 28 juin, à Fontainebleau. La manifestation a regroupé 650 professionnels venus de toute l’Europe pour assister à des master classes, échanger sur leurs expériences et débattre autour du processus créatif.

Sans prix ni tête d’affiche, Série Séries entend être un lieu de réflexion sur la situation de la profession, les tendances et les évolutions en cours. Le théâtre et le château de Fontainebleau accueillent aussi nombre de projections, comme cette année, le pilote de la dernière série de Stephen Frears, A Very English Scandal, écrite par Russell T. Davies, avec Hugh Grant dans le rôle principal. Ou encore Patrick Melrose, autre série britannique, réalisée par Edward Berger à partir des romans d’Edward St Aubyn, qui met en scène un aristocrate anglais très tourmenté, incarné par Benedict Cumberbatch.

A l’heure où Netflix, Amazon et autres plates-formes s’installent dans notre paysage audiovisuel, nous avons demandé à l’Italien Nicola Lusuardi, dramaturge et scénariste, directeur d’écriture pour Sky Italie, et expert à Berlin au sein de Serial Eyes (un programme de formation européen sur la conception de séries), de nous dresser un panorama de l’état de la création européenne.

Manquons-nous cruellement d’auteurs, en Europe, pour faire face à la demande des chaînes, ou même de Netflix, qui dit souhaiter créer des séries propres à chaque pays ?

Absolument ! Les auteurs européens ne le perçoivent sans doute pas, mais moi qui collabore avec tous les grands réseaux de diffusion à l’international et les institutions qui proposent de la formation, je vois bien que nous manquons d’auteurs, mais aussi de producteurs. D’une part, les auteurs n’ont pas suffisamment l’occasion de s’entraîner et d’écrire. Cela n’a rien à voir avec le talent ou l’intelligence, je parle bien de possibilités de travailler sans discontinuer sur de multiples projets. D’autre part, les producteurs de séries ont des structures tragiquement petites : ils sont très nombreux, mais tous de taille bien trop réduite. Nos plus grandes maisons de production, en Europe, n’ont pas le volume et les finances pour entrer en compétition à l’international.

Même chose pour nos diffuseurs : on en compte une foultitude en Europe, mais chacun s’avère ridiculement petit à côté des grandes plates-formes, qui, elles, sont nées en se voulant globales, en visant dès le départ l’international. De plus, nos chaînes s’appuient sur un modèle industriel très difficilement rentable. La RAI, la BBC, France Télévisions, etc., doivent financer un nombre gigantesque d’employés, ce qui les empêche d’investir suffisamment dans des contenus originaux. C’est un modèle qui date d’une autre époque.

« Au lieu de tenter de comprendre comment fonctionner de la même manière, nous en sommes encore à nous combattre entre diffuseurs. »

Pensez-vous que les meilleurs auteurs européens vont être happés par les plates-formes comme Netflix, Amazon, Apple, etc. ?

Ca commence, et ça peut très bien être le cas, à terme.

Est-ce votre plus grand souci ?

Je n’ai rien contre Netflix, qui est un brillant producteur. Ce qui me déplaît au plus haut point, c’est notre incapacité à y répondre, notre manque de volonté d’entrer dans la compétition, notre choix de rester une toute petite province de l’empire.

Le modèle de plate-forme à la Netflix vous paraît-il indépassable ?

Deux phénomènes totalement nouveaux viennent se heurter à notre vieux modèle. Netflix, cette année, livre 800 nouveaux contenus. Certains, comme Mindhunter, figurent parmi les meilleures séries produites au cours de ces trois dernières années, tandis que d’autres productions se veulent plus légères, plus classiques, plus grand public. Qui d’autre produit 800 nouveautés par an ?

Par ailleurs, Netflix pense dès le départ « global » : installée dans 190 pays, cette plate-forme enregistre chaque trimestre six à dix millions de nouveaux souscripteurs ! Ce qu’un bouquet comme BSkyB a mis dix ans à faire, Netflix l’engrange tous les trois mois. Le modèle des groupes audiovisuels ne vaut plus, s’impose désormais celui de Facebook, qui compte 2 milliards d’abonnés. C’est comme si France 2 devait proposer sans discontinuer des programmes pour le monde entier. C’est ça, le modèle et le défi de Netflix : offrir un flot continu de contenus, pour tous les pays à la fois, en comptant sur vingt à vingt-cinq millions de nouveaux souscripteurs chaque année. Aujourd’hui, Netflix est la première chaîne mondiale.

Cette plate-forme joue à un jeu que nous ne maîtrisons pas et qu’il nous faudrait apprendre, c’est bien cela ?

Oui ! Or, au lieu de tenter de comprendre comment fonctionner, petit à petit, de la même manière, nous en sommes encore à nous livrer à des petits jeux politiques entre petites entités, à nous combattre entre diffuseurs, entre maisons de production, etc.

« La production de séries devrait être envisagée comme un défi du continent européen »

Netflix investit dans la création, mais pas dans la formation, n’est-ce pas ?

Les responsables de Netflix, qui recherchent des projets de séries européennes à produire, nous ont dit qu’il faudrait cent fois plus de programmes de formation comme Serial Eyes, qui accueille douze auteurs par an. C’est incroyable, mais nous avons en Europe des centaines de programmes de formation en faveur de l’industrie du cinéma, et seulement trois ou quatre minuscules concernant les séries ! Comment voulez-vous faire avec si peu ? L’Europe n’investit pas suffisamment dans ce domaine. Il ne faudrait pas former douze mais douze mille scénaristes chaque année…

Aucun pays européen ne se distingue dans ce domaine ?

Non, et pour une raison simple : cela tient à la façon dont nous sommes organisés. Nos diffuseurs ne sont pas mauvais en soi, ils font de leur mieux, mais ils sont structurés sur la base d’un schéma ancien qui n’a plus cours, sans possibilité d’évoluer rapidement, sans flexibilité. Nous sommes englués dans un système organisationnel qui nous bloque.

La production de séries devrait être envisagée comme un défi du continent européen, c’est seulement à cette échelle que l’on devrait analyser nos limites et nos moyens de progresser. A s’en tenir à un regard national, on perd toute capacité d’y comprendre quoi que ce soit et de réagir.