Christopher Froome arrive à la présentation des équipes du Tour de France, jeudi 5 juillet 2018 à La Roche-sur-Yon. / STEPHANE MAHE / REUTERS

Pour qu’il se fasse huer davantage, il eût fallu que Christopher Froome se coiffe d’une perruque poudrée et se renomme Robespierre : jeudi 5 juillet, à La Roche-sur-Yon, les Vendéens ont accueilli le Britannique comme Alberto Contador sept ans plus tôt, par des huées et des pouces vers le bas.

En 2011, la France ne digérait pas la présence au départ d’un coureur menacé de suspension pour un contrôle positif au clenbutérol. Dans les arènes du Puy-du-Fou, la colère avait pris des allures de spectacle romain et Contador, au centre, avait pris le parti d’en sourire. Pas Christopher Froome, qui a fixé l’horizon dans un rictus figé que l’on a interprété comme une promesse de régler ses comptes sur la route, dès samedi.

Visiblement détendu au moment de se plier aux obligations de communication des organisateurs, le quadruple vainqueur du Tour de France a été immédiatement rappelé à son sort lorsqu’il a enfourché son vélo dans les rues de La Roche-sur-Yon : tout le monde ici n’a pas compris la décision de l’Union cycliste internationale (UCI) de classer sans suite le contrôle anormal au salbutamol subi en septembre dernier. Le speaker, sur scène, a pris en pitié le quadruple vainqueur et ne lui a infligé qu’une seule question, dont la brève réponse fut, de toute façon, noyée sous les huées.

La fuite de Christopher Froome, parti en contre-la-montre individuel dans le centre-ville de La Roche-sur-Yon pendant que ses coéquipiers s’attardaient devant les micros des journalistes, en a dit plus long que n’importe quelle réaction : il n’a pas apprécié, et il lui tarde que la course commence.

« Escroc ! », « Truand ! », « Dopé ! », « Blanchisseur ! »

Christopher Froome n’a vraiment pas de chance : il arrive, un an sur deux environ, que la Grande Boucle parte de France. L’ambiance y est généralement morose, la foule éparse et les écarts de conduite plus durement sanctionnés qu’ailleurs, surtout lorsqu’ils n’émanent pas des coureurs locaux. Lorsqu’il a couru à l’étranger, cette saison, Christopher Froome a été moins malmené par les spectateurs que par ses rivaux, nombreux à exiger qu’il se mette au tricot en attendant que son cas soit tranché.

Lundi, après la décision de l’UCI, le directeur de l’épreuve, Christian Prudhomme, voulait croire : « Le public du Tour de France est un public bienveillant. Mais je ne suis pas non plus aveugle. » Ni sourd, et de là où il était, Christian Prudhomme a sans doute entendu les « Escroc ! », « Truand ! », « Dopé ! » ou l’étrange « Blanchisseur ! » lancés par la foule. Ils sont le prolongement d’une colère qui gronde sur les réseaux sociaux et les forums spécialisés, où les théories complotistes et les accusations de justice à deux vitesses sont nombreuses.

Mercredi, le président de l’UCI, David Lappartient, a appelé « tous les spectateurs à protéger l’ensemble des athlètes et à respecter les décisions de justice qui sont rendues, et à faire en sorte que Chris Froome puisse évoluer dans un environnement sécurisé et serein ». Si de nombreux coureurs ont été hués par le passé sur la route du Tour, en particulier depuis l’affaire Festina, pour leur implication présumée dans des affaires de dopage – Lance Armsrong, Michael Rasmussen, Alberto Contador –, le risque de voir Christopher Froome se faire agresser sur la route du Tour de France est minime. Les incidents graves sur la course sont rarissimes, malgré la facilité qu’aurait un spectateur à bousculer un coureur en pleine course, à l’image du coup de poing, marquant parce qu’exceptionnel, reçu par le Belge Eddy Merckx dans la montée du Puy-de-Dôme, le 11 juillet 1975.

Opération séduction

Le Team Sky, toutefois, a renforcé la sécurité autour de son leader, déjà accompagné tout au long de l’année par un garde du corps. L’équipe de sécurité de l’opérateur de télévision propriétaire de l’équipe a apporté son expertise à la protection des sportifs, et plusieurs policiers encadraient le Britannique lors de son arrivée, mercredi 4 juillet, en conférence de presse, au gymnase de Saint-Mars-la-Réorthe (Vendée). Ce n’est pas la première fois que les forces de l’ordre viennent assurer la sécurité du quadruple vainqueur. En 2015, l’hostilité à son égard avait déjà atteint des sommets après des performances jugées difficilement explicables, y compris par les consultants de France Télévisions ayant connu les années de gloire de l’EPO (érythropoïétine).

La Sky est consciente de la terrible image qui est la sienne sur la route du Tour, raison pour laquelle elle a cherché – et continue de le faire – des coureurs français capables de briller sous son maillot. Cette quête se heurte souvent au refus des meilleurs d’entre eux de s’engager sous la bannière britannique. Parallèlement, l’équipe dirigée par Dave Brailsford, qui s’était refermée comme une huître depuis plusieurs années après avoir maladroitement tenté, des années durant, de convaincre de son honnêteté, s’ouvre de nouveau aux médias français. La tribune de Christopher Froome dans les colonnes du Monde (daté samedi 7 juillet) participe de cette tentative de séduire le public : puisque la direction de l’équipe est persuadée que c’est des médias qu’est venue la détestation de Sky en France, elle espère pouvoir ramener les spectateurs à la raison par ce même biais.

Mercredi, le coureur d’origine kényane, masquant difficilement son agacement devant la répétition des questions sur son contrôle anormal au salbutamol, a lancé un appel au calme : « Je dis aux personnes qui ne sont pas fans de Chris Froome et de son équipe de mettre le maillot d’une autre formation et de venir la soutenir. C’est une façon positive de supporter quelqu’un. » De toute évidence, le message n’est pas parvenu jusqu’à La Roche-sur-Yon.