Emilie Delorme, directrice de l’Académie européenne de musique du Festival d’Aix-en-Provence. / Vincent Beaume

Une exposition intitulée L’Académie du Festival d’Aix - 20 ans de création et d’ouverture, célèbre jusqu’au 24 juillet à l’Hôtel Maynier d’Oppède d’Aix-en-Provence, l’histoire des deux décennies de l’institution créée en 1998 sous le mandat de Stéphane Lissner en direction des jeunes artistes. Nous avons rencontré Emilie Delorme, qui la dirige depuis 2008.

Qu’est-ce qui différencie l’Académie d’Aix de ses homologues ?

On a fondé une grande famille, avec des dispositifs d’accompagnement qui permettent aux artistes, chanteurs, instrumentistes, compositeurs, metteurs en scène, de se former sur plusieurs années. Cela nous a permis par exemple d’offrir à Sabine Devieilhe plusieurs prises de rôle, de passer au compositeur Ondrej Adamek, présent chaque été depuis 2011, la commande de son opéra, Seven Stones. Au-delà de l’apprentissage, l’enjeu est aussi de les aider à devenir des artistes du XXIème siècle.

Qu’entendez-vous exactement par là ?

Des artistes ouverts sur le monde. Pour cela nous travaillons autour de quatre axes. Il y a d’abord l’interdisciplinarité nécessaire au travail des chanteurs à l’opéra, mais aussi des instrumentistes, qui se retrouvent de plus en plus souvent sur le plateau. Le deuxième axe est celui de la création lyrique : il est vital d’inventer et de raconter de nouvelles histoires capables de toucher le plus grand public. Le troisième aspect concerne enfin la médiation, pour laquelle les artistes sont de plus en plus sollicités. Quant au dernier volet, il concerne l’interculturel.

Une impulsion avivée par l’accueil de l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée ?

Ces jeunes musiciens ont été intégrés à l’Académie en 2014 mais ils sont invités à Aix depuis 2010. Ils y ont accompli un travail en profondeur qui irrigue toute l’Académie. Maintenant, nous accueillons des personnes venues de tout le monde méditerranéen, dans toutes les disciplines et ça change les pratiques. Il y a des résidences qui mêlent musiciens classiques et improvisateurs issus de traditions orales. C’est devenu organique.

Avoir aujourd’hui une vision globale de la culture n’est, selon vous, pas négociable…

Cela va dans le sens de l’histoire. Les structures culturelles se posent actuellement la question de l’équité et la diversité, même si la France est loin d’être un pays figure de proue. Dans l’équipe, il y a une personne entièrement dédiée à l’obtention des visas et cela devient très compliqué notamment pour les Syriens, Turcs et Égyptiens. Mais il faut lutter : certains artistes auraient cessé d’être musiciens dans leurs pays s’ils n’étaient venus à Aix. Cela contribue aussi à préserver des cultures menacées.

Pourquoi dans ce cas une telle focalisation sur l’opéra ?

L’opéra a une portée symbolique que ne possède pas la musique purement instrumentale. Son aspect narratif ainsi que la multiplicité de ses composantes scéniques en font un art populaire par essence, capable de toucher tout le monde. Cela reste aussi un lieu de pouvoir fréquenté par nos classes dirigeantes, lesquelles doivent également s’ouvrir à d’autres cultures. L’opéra permet de joindre les deux bouts de la chaîne.

Il fut un temps où la médiation rebutait la plupart des artistes. Qu’est-ce qui a changé ?

Les jeunes ont fait le pas. Des programmes sont en train d’être mis en place dans certains conservatoires. Nous avons constaté que pour la majorité d’entre eux, la rencontre avec d’autres publics est fondamentale. Surtout s’ils ont l’impression qu’ils peuvent changer la vie de quelqu’un. Cette pratique de la médiation va même jusqu’à nourrir leur interprétation des œuvres.

De quelle façon ?

On a fait une expérience avec le Quatuor Arod et la chanteuse Marlène Assayag, qui joueront le Deuxième quatuor de Schoenberg dans le concert du 8 juillet pour les vingt ans de l’Académie. Durant quatre jours, ils ont travaillé à élaborer un programme participatif avec des enfants à qui ils ont demandé de s’allonger par terre pour écouter le dernier mouvement avec voix. Le résultat a été si probant qu’ils ont intégré cette « dramaturgie » dans leurs propres concerts.

Vingt ans après sa fondation, l’Académie d’Aix-en-Provence fait donc figure d’exemplarité ?

3 000 artistes sont passés chez nous en vingt ans. De 2007 à 2018, sous le mandat de Bernard Foccroulle, de nouveaux réseaux européens ainsi qu’en direction de la Méditerranée ont été fondés tandis que les équipes de création au service d’une politique de commandes étaient renforcées. A l’heure où de nouvelles maisons d’art lyrique sont en train de surgir un peu partout, et notamment dans les pays d’Afrique du Nord, la réflexion sur l’avenir de l’opéra est cruciale. Un satisfecit pour l’Académie qui a toujours porté en germe la recherche de nouvelles formes scéniques et l’ouverture aux cultures extra-européennes. Pierre Boulez dans les années 1990 n’avait-il pas fait venir gamelan balinais et percussions africaines ? Une profession de foi que le Franco-Libanais, Pierre Audi, successeur de Bernard Foccroulle à partir de 2019, ne pourra que conforter.

Les 20 ans de l’Académie. Concerts au Conservatoire Darius Milhaud d’Aix-en-Provence (13). Avec Marlène Assayag et le Quatuor Arod le 8 juillet à 15 heures. Avec Stéphane Degout et Alain Planès le 9 juillet à 20 heures. De 8 € à 25 €.

Journée anniversaire le 13 juillet. Ateliers musicaux participatifs, de 16 à 19 heures à l’Hôtel Maynier d’Oppède (gratuit, sur réservation). Concert « L’Alto à l’honneur » avec Tabea Zimmermann, Andrea Hill et Edwige Herchenroder au Conservatoire Darius Milhaud à 20 heures. De 8 € à 25 €.

Jam session avec des artistes issus de l’Académie et du Festival à l’Hôtel Maynier d’Oppède à partir de 21h30 (gratuit, accès libre). Academie.festival-Aix.com

Sur France Musique, Carrefour de Lodéon le 7 juillet de 14h30 à 16h30 au Conservatoire Darius Milhaud, diffusion en différé à 18 heures). Gratuit, accès libre.