Cédric Herrou, à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), le 15 novembre 2017. / ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Editorial du « Monde ». Personne n’ignore la devise de la République : « Liberté, Egalité, Fraternité ». Jusqu’à présent, pourtant, la fraternité était le parent pauvre du triptyque. C’est donc une décision importante que le Conseil constitutionnel a prise, vendredi 6 juillet. Pour la première fois, en effet, il a consacré la « valeur constitutionnelle du principe de fraternité », au même titre que ceux de liberté et d’égalité auquel il fait constamment référence pour établir sa jurisprudence. Cette décision est d’autant plus symbolique qu’elle porte sur la question très sensible de l’aide au séjour d’un étranger en situation irrégulière.

Le conseil avait été saisi de deux questions prioritaires de constitutionnalité par l’avocat de Cédric Herrou. Devenu le symbole de la défense des migrants de la vallée de la Roya, l’un des principaux points de passage des migrants arrivés en Europe par l’Italie, cet agriculteur a été condamné à quatre mois de prison avec sursis en août 2017 pour avoir transporté et accueilli chez lui quelque deux cents migrants. Etaient associés à cette saisine du Conseil constitutionnel, pour des motifs similaires, un universitaire, Pierre-Alain Mannoni, deux autres plaignants et une douzaine d’associations d’aide aux migrants, dont la Cimade et la Ligue des droits de l’homme.

Tous remettaient en cause une disposition très controversée du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) selon laquelle « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30 000 euros ». Toutefois, précise cet article du code, « l’aide au séjour irrégulier d’un étranger » ne peut entraîner de poursuites pénales « lorsque l’acte reproché n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou des soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger ».

« But humanitaire »

L’exemption du « délit de solidarité » était donc circonscrite, mais de façon floue, à « l’aide au séjour irrégulier ». C’est cette restriction et ce flou que le Conseil constitutionnel a censurés de façon solennelle : « Il découle du principe de fraternité la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national ». En clair, l’aide humanitaire à des migrants ne peut être assimilée à l’action des mafias de « passeurs ».

Toutefois, le Conseil rappelle que les étrangers n’ont aucun droit « de caractère général et absolu d’accès et de séjour » en France. Autrement dit, l’aide à l’entrée sur le territoire national de migrants en situation irrégulière reste passible de poursuites. En outre, il est rappelé que l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière « participe de la sauvegarde de l’ordre public, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle ».

Le Conseil demande donc au Parlement de modifier la loi, d’ici au 1er décembre, afin d’assurer « une conciliation équilibrée entre le principe de fraternité et la sauvegarde de l’ordre public ». Alors que la polémique ne cesse de s’envenimer, en Europe, sur les politiques migratoires, le débat est donc loin d’être clos. Mais il se poursuivra, en France, sur des bases plus conformes aux valeurs de la République.