Les chanteurs de Prophets of rage band, B-Real (à droite) et Chuck-D aux  Eurockéennes de Belfort le 6 juillet  2018 de Belfort. / SEBASTIEN BOZON / AFP

S’il y a bien un groupe pour résumer l’histoire des Eurockéennes, qui fêtent ce week-end à Belfort sa trentième année d’existence, c’est Prophets of Rage. Vendredi 6 juillet, ce super-groupe formé pas une partie des membres du métal Rage Against the Machine, une autre des très politiques et historiques du hip-hop, Public Enemy et le rappeur nasillard de Cypress Hill, B-Real, ont réalisé une démonstration de force devant plus de 30 000 personnes. Tout juste opéré une vingtaine de jours plus tôt de l’avant-bras gauche, le guitariste Tom Morello n’a pas une seule fois défailli tandis que le leader de Public Enemy, Chuck D, envoyait ses textes uppercuts. A B-Real, portant un keffieh tel un Palestinien en lutte, de haranguer la foule à coups de slogans « Débarrassons-nous de Trump ».

Chacun de ces artistes était déjà venu jouer avec leur formation originelle aux précédentes éditions des Eurockéennes, preuve que le festival rock est engagé depuis très longtemps dans la programmation du hip-hop depuis le début des années 90, à une époque où cette culture contestataire n’était pas si populaire. Public Enemy a été le premier groupe de rap à jouer sur la grande scène en 1994. Cypress Hill avait remplacé au pied levé les NTM, empêchés par un énième souci judiciaire de JoeyStarr. En 1995, les métalleux de Rage Against the Machine faisaient déjà résonner leurs trois accords de basse, leur riff de guitare et leur fameux regain de Killing in The Name : « Fuck you, I won’t do what you tell me ! »

En 2016, c’est le guitariste du groupe Tom Morello qui eut l’idée de réunir ses anciens collaborateurs, le batteur Brad Wilk, le bassiste Tim Commerford et de faire appel aux rappeurs Chuck D et B-Real. Deux heures avant le concert d’une et demie que la formation allait donner aux Eurocks, le leader de Public Enemy précisait l’objectif du collectif en coulisses : « Pendant la campagne présidentielle de 2016, Tom a créé ce groupe car il en avait marre de se contenter de répondre sur Twitter ou autres réseaux sociaux à des commentaires sur ce moment très particulier où Donald Trump prenait toute la place dans les médias. Il a voulu faire plus que commenter l’actualité, et c’est pour ça qu’il m’a contacté. » Le super-groupe se cherchant un nom, Tom Morello a choisi de lui donner le titre d’un des morceaux de Public Enemy, Prophets of Rage, publié sur leur deuxième album en 1988, It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back : « A la fin des années 1980, se rappelle Chuck D tout en dessinant les sous-bois des Eurockéennes sur un cahier de croquis, la situation politique à New-York était très intense, c’était une ville qui se moquait complètement de la communauté noire. Mon boulot en tant que musicien était de rappeler que nous existions, et de montrer qu’il y avait dans cette ville deux mondes différents qui cohabitaient mais ne se croisaient jamais. Notre morceau Prophets of Rage rendait hommage aux héros dont personne ne parlait dans les autres médias : Malcom, Marcus Garvey. »

Selon lui, le groupe qu’il forme avec Tom Morello aurait pour but de réveiller les prophètes de demain, « de reprendre le pouvoir » comme ils le chantent à Belfort, en détaillant les dégâts provoqués par la politique de Donald Trump, ou en soutenant dans leur chanson, Living on the 110, les SDF qui vivent sous l’autoroute 110 à Los Angeles.

Sur sa guitare, Morello a d’ailleurs écrit : « Armons les sans-abri » et au dos « Fuck Trump ». Et Chuck D, le sage, de nuancer : « Evidemment que cet homme est affreux, sauf qu’il ne s’agit pas que de lui mais de son électorat. 50 % des Etats-Unis d’Amérique pensent, à l’instar du président, que le reste du monde est inférieur, comme si nous étions tous le public d’un match de foot et que nous devions brailler que nous sommes les numéros 1. Cette vision du monde m’a toujours fatigué, encore plus aujourd’hui, après trente et un ans à voyager dans plus de 108 pays. » Avec Prophets of Rage, il n’a pas fini de tourner et d’enregistrer des disques. Leur troisième album, annoncé par un single le matin même, Heart Afire, devrait être publié sous peu. Vendredi soir, Tom Morello n’a pas oublié de féliciter le public des Eurockéennes pour « sa rage » et les Français de la victoire contre l’Uruguay. Un résultat que le rappeur belge Damso, programmé sur la grande scène à 20 h 45, devrait commenter en cette troisième journée des Eurockéennes.