Fanny Lechevestrier / Radio France

À trois jours du début du Tour de France, c’est déjà la course pour Fanny Lechevestrier. La journaliste du service des sports de Radio France confie : « J’étais justement en train de réviser mes fiches avant de prendre la route pour Noirmoutier », ville-départ de l’édition 2018 de la Grande Boucle, qui aura lieu du 7 au 29 juillet. Comme l’an passé, elle « transmettra ses émotions » depuis l’arrière d’une moto située au cœur du peloton. « En radio, peu importe le sport, il faut faire vivre l’action comme un spectacle. Notre rôle est de donner à voir ».

Une mission d’autant plus importante que l’offre de sport à la télévision est devenue onéreuse et clairsemée, obligeant le téléspectateur à jongler entre plusieurs abonnements, voire à se tourner vers la radio. Un média qui a la capacité de proposer un service gratuit, mais sans les images. À charge pour le commentateur de suppléer à ce manque, en jouant subtilement entre information et émotion.

Jean Rességuié, 54 ans, dont trente passés à RMC, fait partie de ces personnages connus pour leurs folles envolées. L’intéressé s’en explique : « On se doit d’être beaucoup plus dans le descriptif qu’en télévision. Il faut savoir s’exprimer rapidement pour faire comprendre à l’auditeur ce qu’il se passe sur le terrain, tout en lui permettant de se situer par rapport à l’action. »

Jean Rességuié, RMC. / RMC

Une hypotypose qui n’est pas sans rappeler des souvenirs à Christian Ollivier, chef du service des sports de RTL, élu meilleur commentateur sportif de l’année 2013. « Dans les années 1950, on allait jusqu’à dire “à votre gauche l’équipe de France, et de l’autre côté du transistor… Rien que ça, c’était fabuleux », dit-il. Pour tout commentateur, l’objectif est de prendre l’auditeur par la main, et de l’emmener au stade en lui donnant un maximum d’images possible. « Certains décriront platement les actions, d’autres vivront au contraire le match avec passion », ajoute Bruno Salomon, qui officie lors des matchs du PSG sur les ondes de France Bleu Paris. Il est connu des supporters pour son fameux « goooaaal » inspiré des journalistes sud-américains.

Chez tous d’ailleurs, le mot « passion » revient comme un leitmotiv pour justifier le côté expansif et chargé d’émotion de leurs propos. Selon Stéphane Besnier, correspondant d’Europe 1 dans le Grand Ouest, vivre pleinement un moment ne veut pas dire en rajouter. « Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, tout le monde peut regarder le résumé d’une action. Il est donc impossible de travestir la qualité d’un match pour attirer l’auditeur », note-t-il. Un point de vue partagé par Christian Ollivier : « Surjouer en continue une rencontre qui est une purge, est un véritable dilemme. Transmettre des émotions est une chose, mentir en est une autre. On reste journalistes avant tout. »

Christian Ollivier. / Romain_BOE

Jean Rességuié lui assume ses envolées, en particulier lorsqu’il s’agit de l’équipe de France ou d’un club Français en coupe d’Europe. « Je me laisse facilement emporter. Cela fait partie de ma marque de fabrique de parler vite et fort. Parfois, on me dit que j’exagère car lorsque le ballon n’est pas tout à fait aux abords de la surface, mon débit s’intensifie. Mais mon travail, c’est de tout faire pour capter l’auditeur, et qu’il reste. »

Évolution du métier

Depuis quelques années, l’exercice du commentaire sportif sur les ondes a évolué. Ce qui consistait à parler de la première à la dernière seconde avec le même débit, et sans valeur ajoutée, n’existe plus. Aujourd’hui, à l’instar de la télévision, la tendance en radio est au dispositif. « À RTL par exemple, la proportion de commentaire est de 60 %. Le reste n’est que de la plus-value apportée par les consultants en studio à Paris », détaille Christian Ollivier. Sur RMC, Jean Rességuié concède également ne jamais commenter l’intégralité d’un match : « On ne dépasse pas généralement les deux minutes de commentaire, après quoi le présentateur reprend la main. J’interviens uniquement en cas d’action chaude ».

Résultat, quand un match est mauvais, les consultants peuvent prendre le relais évitant ainsi aux commentateurs de le survendre pour combler les silences. Ce changement touche aussi les radios locales. « À France Bleu, on commente toujours de bout en bout, mais depuis maintenant cinq ans, un consultant m’accompagne dans mon travail, explique Bruno Salomon. C’est plus facile à deux. On peut se raccrocher à plein de paramètres pour décrypter un rendez-vous, sans avoir besoin d’amplifier quoi que ce soit. »

Football, athlétisme, handball, tennis… D’une discipline à l’autre, l’exercice diffère sensiblement, ainsi que l’explique Fanny Lechevestrier, qui a suivi le Stade Français pendant six ans pour France Bleu Paris : « Même entre le foot et le rugby, qui sont a priori des sports assez proches, il existe des distinctions. On va par exemple avoir beaucoup plus d’arrêts de jeu au rugby avec l’utilisation de la vidéo ou lors des mêlées. Au foot, c’est en train de changer avec la VAR [assistance vidéo à l’arbitrage] mais globalement les moments de silences potentiels sont moins nombreux. »

Si au football et au rugby, la circulation du ballon rythme les propos du commentateur, la tâche s’avère plus ardue avec le tennis ou la Formule 1, comme le souligne Jean-Luc Roy, spécialiste des sports mécaniques à RMC : « Ce sont des sports chronophages. En Formule 1, quand c’est possible, on essaye de s’appuyer sur les liaisons radio entre pilotes et écuries. Mais le plus souvent notre propos est didactique afin d’expliquer les nombreuses règles qui régissent ce sport. » Autrement dit, plus il y a d’intensité, plus il est facile de commenter un sport.

Bruno Salomon, commente les matchs du PSG sur France Bleu. / France Bleu

« En théorie seulement », nuance Christophe Jousset, journaliste au service des sports de RFI : « En athlétisme, une finale de 100 mètres se fait en équilibre constant. La course dure au maximum 10 secondes. Si on bute sur le moindre mot, c’est foutu. Généralement, on se concentre sur le favori et ses deux plus gros concurrents. » Une particularité que l’on retrouve également en natation. « Sur un 50 mètres nage libre, il faut faire preuve d’une fulgurance incroyable », analyse Stéphane Besnier. « En cyclisme, seul les fins d’étapes sont intéressantes à commenter », remarque de son côté Christian Ollivier. « Le reste du temps, poursuit Fanny Lechevestrier, on donne des éléments techniques sur la course, les paysages, ou des anecdotes de peloton. »

La télé se fait radio

On connaissait la radio filmée, mais moins la télévision qui se transforme en radio. « La Grande soirée » sur la chaîne L’Equipe apparaît comme l’application télévisée du dispositif radio. À savoir : deux commentateurs en cabine et des consultants en plateau prêts à réagir. Comme s’ils étaient en studio, les journalistes ne regardent jamais la caméra. Leurs yeux sont rivés sur des écrans que le téléspectateur ne voit pas.

Raphaël Sebaoun et Candice Rolland ont été associés au projet de radio numérique RTL-L‘Equipe, de 2007 à son abandon en 2012. Quand il leur a été proposé de commenter pour la chaîne L’Equipe des matchs sans images, ils ont tout de suite accepté. « On fait en quelque sorte ce qu’on faisait en radio. Simplement, il ne faut pas oublier que des gens nous regardent », précise Candice Rolland. « Notre objectif, c’est vraiment d’aller chercher un public qui ne va pas allumer la radio parce qu’il a besoin d’images », ajoute Raphaël Sebaoun, en place depuis la première rencontre, Chelsea-PSG, le 9 mars 2016. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le concept fonctionne. Inspiré d’un format italien, « La Grande Soirée » séduit en moyenne 200 000 téléspectateurs, avec un record établi à 380 000 en mars 2017, lors de l’emblématique Barcelone-PSG.

Le duo s’est rapidement adapté au format, avant de se constituer en trio avec le trublion et détonant Yoann Riou dès leur première saison. « Dans la préparation, explique Raphaël Sebaoun, l’approche est différente. Sur un commentaire TV, comme je viens en complément de l’image, je travaille davantage le fond qu’en radio où je sais que ma mission première est de décrire ce qu’il se passe. »

Yoann Riou, Candice Rolland et Raphaël Sebaoun, le trio de commantateurs de « La Grande soirée » sur la chaîne l’Equipe. / La chaîne l'Equipe

Mais le direct peut réserver quelques surprises. « Une fois, sur un Paris-Nice, il s’est mis à pleuvoir et les coureurs ont commencé à se couvrir. Du coup je n’arrivais plus à les distinguer, et il était très difficile pour moi de donner l’arrivée aux auditeurs », s’amuse Fanny Lechevestrier. Comme pour dire que si l’épreuve du commentaire est risquée, elle l’est davantage en radio, où tout repose parfois sur le seul commentateur.