Un manifestant de la SNCF lors d’une manifestation à Paris, le 28 juin. / Michel Euler / AP

Le 3 avril, lorsque les cheminots ont lancé le premier jour de leur grève perlée qui allait durer trois mois, Paul ne s’était, jusqu’alors, « jamais mobilisé ». Plus de vingt ans après son arrivée comme contrôleur à la SNCF, « parce que le combat était juste et bien mené », il s’est lancé, avec l’énergie des premières fois. Depuis vingt ans justement, la SNCF n’avait pas connu de telles mobilisations, eu égard à la durée du conflit et au nombre de cheminots en grève.

Mais cette durée inédite de la mobilisation – trente-six jours de grève en pointillé sur trois mois, soit deux jours tous les cinq jours – et l’inflexibilité du gouvernement ont fini par avoir raison du taux de grévistes. De 30 % en début de conflit, le nombre de cheminots mobilisés a chuté pour atteindre 15 %, puis 10 % lors des dernières journées d’action, à la fin de juin.

Paul a suivi cette tendance, espaçant ses jours de grèves au gré de la navette parlementaire de la réforme ferroviaire, et à mesure que sa paye se réduisait. Lui qui « alternait les jours de grèves » avec sa compagne, elle aussi contrôleuse, s’est résigné à « reprendre le travail », constatant que les cheminots étaient « face à un mur », et que « la discussion était inexistante ».

« Mépris » du gouvernement

D’une même voix, les grévistes évoquent « l’intransigeance », « la fermeté », « le dogmatisme », ou encore « le mépris » du gouvernement face aux revendications des cheminots, qui s’opposaient notamment à la fin du statut pour les nouvelles recrues et à l’ouverture à la concurrence ferroviaire.

Aujourd’hui, Paul fait part d’une « colère » à la mesure des espoirs des premiers jours, définitivement douchés après l’adoption par le Parlement du projet de loi « pour un nouveau pacte ferroviaire », le 14 juin.

« Au début, je pensais que la durée de la grève contraindrait le gouvernement à mener de vraies négociations. Et puis, j’ai constaté que quand le roi Macron décidait d’un fait, c’était irrévocable. »

Stéphanie Couturier, qui a grandi dans « une famille où l’on est cheminot de père en filles », souligne également « l’attitude provocatrice », selon elle, de la direction de la SNCF, qui a décidé, dans le cadre des retenues sur salaires liées aux jours de grève, d’inclure les jours de repos attachés aux jours non travaillés — avant d’être finalement condamnée par la justice sur le sujet. Durant la grève, les dirigeants ont également annoncé la suppression de plus de 700 postes dans sa branche fret d’ici à 2021.

Après avoir participé à « presque toutes » les grèves du mois d’avril, Paul et Valérie ont « ralenti le rythme en mai », pour finalement ne participer à aucune action en juin, « voyant que l’on n’avait rien obtenu, ni de la part du gouvernement ni de celle de la direction ».

Sacrifices financiers

Si les grévistes n’ont effectivement pas eu gain de cause concernant la majorité de leurs revendications, Séverine Rizzi, secrétaire de la CGT-Cheminots de Bordeaux, considère que ce « mouvement n’a pas été vain », qualifiant même de « positif » le bilan de ces trois mois de mobilisation.

La représentante syndicale tient d’abord à rappeler le « niveau élevé » de grévistes durant presque toute la durée du mouvement. « Avec un calendrier aussi étendu dans le temps, cela constitue une gageure », estime la cheminote travaillant au sein des ressources humaines, rappelant que « le gouvernement avait prédit que l’on ne tiendrait pas dix jours ; le 28 juin on était toujours là ».

Cette ténacité a été synonyme de sacrifices. Paul et Valérie ont rogné environ 1 000 euros de salaire chacun durant leur mois et demi de mobilisation. Marc Ribeiro, cheminot à la manœuvre depuis neuf ans, a, lui, perdu 700 euros le premier mois, « soit la moitié de ma paye ». Stéphanie Couturier, qui gagne 1 600 euros par mois en moyenne, a dû « faire tourner la maison » avec 400 euros en moins en juin. Certains salariés, syndiqués, ont pu bénéficier de compléments de salaire financé par leur organisation, à l’instar de Marc Ribeiro, qui a perçu 230 euros en avril.

« Des victoires »

« La décision de justice de condamner la SNCF à rembourser les jours de repos des grévistes, qui a constitué un camouflet pour la direction, va également permettre aux cheminots d’atténuer l’impact financier du mouvement », rappelle Séverine Rizzi, qui évoque « une étape importante dans le mouvement ».

L’autre « victoire », selon Stéphanie Couturier, a été le résultat de la consultation interne organisée par l’intersyndicale, à laquelle 61,15 % des cheminots ont participé, se déclarant à 94,97 % opposés à la réforme. « Beaucoup de cheminots ne pouvaient pas se porter grévistes, pour des raisons financières, ou des plans de carrière qui auraient été remis en cause, mais la grande majorité soutenait le mouvement », assure Marc Ribeiro, qui révèle que « plusieurs membres de la direction nous ont dit de continuer le combat ».

Quand on les interroge sur les « moments forts » de la mobilisation, les grévistes listent pêle-mêle les nombreuses actions menées localement, comme l’opération « péage gratuit » à Pau, « le blocage des camions de Geolis », une filiale de la SNCF venue compenser la fermeture de lignes de fret, ou encore « les gens qui descendaient de chez eux pour défiler à nos côtés ».

Mais pour les cheminots, s’il fallait citer un « succès » de ces trois mois de grève, ce serait l’annonce du premier ministre, Edouard Philippe, de reprendre une partie de la dette de la compagnie, soit 35 milliards d’euros d’ici à 2022. « Cette mesure était inenvisageable au départ, mais grâce à notre mouvement, le gouvernement a dû faire un geste », résume Séverine Rizzi, qui reconnaît, résumant l’avis de tous, que « cela n’est pas suffisant ».

A l’instar de la CGT et de SUD-Rail, qui ont appelé à la grève les 6 et 7 juillet, la représentante syndicale assure qu’elle « ne lâche pas l’affaire ». Aux vacanciers inquiets de savoir s’ils seront bloqués pour leur départ en vacances, elle assure que les grèves ne se décideront pas contre les usagers, mais « selon le calendrier de négociations avec le gouvernement ».

« Si le mouvement de ce week-end n’est pas suivi, on ne veut pas non plus s’entêter et se décrédibiliser, face au gouvernement qui n’attend que ça pour dire que notre mouvement est mort », précise Marc Ribeiro, qui n’a pas encore posé ses vacances, « au cas où ». Séverine Rizzi rappelle également que des décrets de la réforme doivent encore être publiés, selon un agenda allant de six à douze mois. Et de prévenir : « Nous n’avons pas dit notre dernier mot. »