A une terrasse d’Avignon, la petite troupe qui interprète sur la scène du Théâtre des 3 soleils, « Britannicus On Stage », la pièce de Racine violemment revisitée. / LAURENT CARPENTIER/« LE MONDE »

Aie ! La caisse de sa guitare, une Guild de très bonne facture, est fendue. Le ­soleil peut-être ou un coup malencontreux ? C’est ce qui arrive lorsque, comme eux (la petite troupe qui interprète sur la scène du Théâtre des 3 soleils, Britannicus On Stage, la pièce de Racine violemment revisitée), on bat le pavé sous le cagnard pour faire l’article aux terrasses bondées des cafés et remplir la salle le soir.

Avignon. 34° à l’ombre. Elégant dans son smoking, les yeux d’un bleu transparent, plié en deux comme un guitar-hero, Britannicus chante avec Agrippine, Junie et Albine pour un Néron effondré : « Aujourd’hui tu n’as pas fait l’amour à ta mère, ce n’est pas bien, ce n’est pas bien… »

« Vous verrez, on monte à donf les curseurs du comique et du tragique », glisse au passant ce Britannicus de 21 ans, au front mouillé de sueur, festivalier noyé dans la masse des 4 667 artistes qui peuplent en ce mois de juillet le « off » du Festival. Il s’appelle Jules Fabre. Et, dans cette concurrence de chaque instant, entre trois mousquetaires, un pilote d’avion, deux chanteuses de cabaret et un monstre indéfinissable, il a un avantage : lui est aussi Théo Bommel, un des nouveaux venus de la série Plus belle la vie.

Jeunesse insouciante

Jules-Théo-Britannicus sirote un pastis. On n’est qu’en début d’après-midi. Jeunesse insouciante, enfant de la balle. Il est né à Briare, Loiret, 5 000 habitants. Là, dans un bâtiment au milieu des champs, ses grands-parents ont construit un théâtre. Sa mère en est devenue comédienne : Marie Réache, qui, elle aussi, joue dans Plus belle la vie : Babeth Nebout. Et elle aussi est à Avignon, dans ­Sauver le monde (ou les apparences), au Théâtre Buffon, toujours dans le « off ».

Quand, à 18 ans, elle a quitté Briare pour Paris, Marie Réache a rencontré Alexandre Fabre – alias Charles Frémont dans Plus belle la vie, qui prend décidément des allures d’histoire de famille. Jules n’avait que 2 ans lorsque ses comédiens de parents se sont quittés et pas 6 lorsqu’il est venu pour la première fois à Avignon où sa mère jouait. Mauvais élève revendiqué (« J’ai eu le bac au rattrapage avec 10,1, je crois qu’ils ne voulaient pas me garder »), absentéiste hors pair au lycée Lamartine à Paris (« un embrouilleur », résume-t-il), il découvre au club théâtre du lycée qu’« il n’y avait pas d’autres choses dans lesquelles je pourrais être bon. Une sorte de fatalité ».

« Presque du cabaret »

Ecole Claude-Mathieu dans le 18e puis stages à Briare, au Théâtre de l’Escabeau, avec Pierre Lericq, de la compagnie des Epis noirs, un briscard d’Avignon, qui va les mettre en scène. « Britannicus On Stage, c’est musical, presque du cabaret », tente d’expliquer Jules. « On y parle de tout, de nous, de rugby, parce qu’avant, je faisais du rugby, talonneur », raconte la jolie Agrippine, alors que Junie raboute le sparadrap sur son front qu’elle s’est ouvert hier, jour de première, en voulant nourrir les chats de la maison dont ils partagent les lits dans les faubourgs d’Avignon.

Quotidien ordinaire de l’ici et maintenant. Au Festival « off », tout le monde est comptable ou cantinier le matin, homme-sandwich et distributeur de tracts l’après-midi, et sur scène dès qu’il peut… Déjà devant la terrasse du bistrot, place des Corps-Saints, une autre troupe, celle d’Hercule, le destin d’un dieu, une comédie musicale belge, incite la foule à venir découvrir son spectacle au théâtre CinéVox. Jules cherche à les suivre timidement à la guitare… « Euh ! Vous êtes… » La jeune fille blonde l’a reconnu. Vu à la télé. Ainsi voit-on naître la scène improbable d’Hera, la déesse des femmes, faisant un selfie avec Britannicus. Il n’y a qu’Avignon pour offrir ce genre de raccourcis.