Le très médiatique procès du maire de Dakar a entamé, lundi 9 juillet en appel, son deuxième round, revêtant pour l’occasion une dimension internationale. Après avoir été condamné le 30 mars à cinq ans de prison ferme et à une amende de 5 millions de francs CFA (7 620 euros) pour « faux et usage de faux » et « escroquerie portant sur des fonds publics », Khalifa Sall est une fois encore entré dans l’immense salle d’audience numéro 4 du Palais de justice de Dakar tout de blanc vêtu, sous les vivats de ses centaines de supporteurs clamant son innocence.

Si les soutiens du maire ont depuis le début du procès démontré leur fidélité, ils semblaient lundi matin redoubler de ferveur ; les gendarmes à l’extérieur de la salle peinant à contenir la foule. La raison de cette confiance retrouvée : une décision de la cour de justice de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Celle-ci a estimé le 30 juin que les droits du maire et de ses quatre coaccusés n’avaient pas été respectés lors du jugement rendu en première instance.

Course contre la montre

Sur l’extrait du plumitif signé par un greffier que Le Monde Afrique a pu consulter, le juge de la cour de justice de la Cédéao saisie par les avocats de Khalifa Sall en décembre estime que « le droit à l’assistance d’un conseil, le droit à la présomption d’innocence et le droit à un procès équitable des requérants ont été violés ».

Le document soutient également que « la détention de Monsieur Khalifa Ababacar Sall, entre la date de la proclamation des résultats des élections législatives par le conseil constitutionnel et celle de la levée de son immunité parlementaire est arbitraire ». Une période courant du 14 août 2017, lorsque Khalifa Sall avait été élu député depuis sa cellule, jusqu’au 25 novembre 2017. A titre de réparation, la cour de la Cédéao condamne l’Etat du Sénégal à payer au maire et à ses coaccusés la somme de 35 millions de francs CFA (52 700 euros).

Devant le juge Demba Kandji qui préside le procès en appel, la défense du maire a rapidement tenté de faire valoir cette décision de justice supranationale, sans succès. Les avocats ont produit un extrait de l’original et l’ont remis au juge ainsi qu’au procureur général demandant un renvoi de l’audience afin d’attendre la publication de l’arrêt définitif de la cour de la Cédéao. Demande rejetée par le juge. « Je ne peux m’instruire de cette décision car elle n’est pour l’instant pas présente dans mon dossier », a-t-il rétorqué, assurant qu’il la prendra en compte « dès qu’elle sera rendue ».

A sept mois de la présidentielle sénégalaise, une course contre la montre est engagée pour le camp du socialiste Khalifa Sall. Celui qui est régulièrement désigné comme l’adversaire principal à la réélection du président libéral Macky Sall, peut se porter candidat tant que sa condamnation n’est pas confirmée en cassation. Il faut donc pour la défense gagner du temps, trouver des vices de procédure afin de ralentir celle-ci en demandant des renvois. Ce que le juge Kandji refuse d’accorder après avoir accepté de reporter les débats une première fois.

Deux ténors du barreau de Paris

Dans ce procès très technique, aux ramifications politiques, présentant désormais un enjeu régional, les deux camps ont recruté il y a quelques jours deux ténors du barreau de Paris. Du côté de l’Etat sénégalais, partie civile dans ce dossier, Francis Szpiner est monté à la barre. Avocat du dictateur centrafricain Jean-Bedel Bokassa, du président équato-guinéen Teodoro Obiang et de l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade, il a aussi plaidé pour l’ex-présentateur vedette du JT de TF1 Patrick Poivre d’Arvor ou l’homme d’affaires Bernard Tapie. Dans l’affaire des caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo, il a défendu la mosquée de Paris et a représenté la partie civile dans l’affaire Ilan Halimi. Avocat médiatique, candidat de la droite aux législatives en 2002 et 2017 sous une étiquette Rassemblement pour la République puis Les Républicains, il défend aussi Henda Ayari et Mounia, deux plaignantes de l’affaire Tariq Ramadan.

Du côté du maire de Dakar, c’est aux services du pénaliste Alain Jakubowicz qu’on a fait appel. Avocat de l’homme soupçonné du meurtre de la jeune Maëlys en août 2017, Nordhal Lelandais, et ancien président de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme de 2010 à 2017, il s’est fait connaître en s’engageant aux côtés du Consistoire israélite de France lors du procès de l’ancien chef de la Gestapo de Lyon, Klaus Barbie. Il s’est taillé une réputation de défenseur des nobles causes en plaidant pour les familles des victimes de l’incendie du tunnel du Mont-Blanc en 2005 et celles du vol Rio-Paris en 2009. Il a aussi défendu footballeur Karim Benzema dans l’affaire de chantage présumé à la « sextape » de Mathieu Valbuena en 2015.

« La juridiction supranationale que constitue la cour de justice de la Cédéao s’impose non seulement aux Etats mais aussi aux institutions, à vous. Vous nous avez dit ne pas avoir cette décision dans votre dossier, nous sommes là aussi dans un déni de réalité, comme si cette décision n’existait pas. C’est piétiner les droits les plus élémentaires de la défense », a martelé Me Jakubowicz demandant encore une fois le renvoi du procès. Mais le juge Kandji est resté sourd au ténor et à ses confrères de la défense qui ont donc décidé de quitter la salle sous les cris des supporters du maire, achevant la première audience d’un procès qui s’affirme déjà dans sa férocité.