© TOYOTARO/AKIRA TORIYAMA

Il n’y a plus ni couleurs ni suspense. Et pourtant, Dragon Ball Super, le manga adapté du dessin animé diffusé de juillet 2015 à mars 2018 continue son petit bonhomme de chemin. A l’occasion de la Japan Expo, Glénat a publié en version française son quatrième tome, sur les six existants. Il raconte l’affrontement herculéen entre l’éternel héros, Goku, son rival Vegeta, et un duo maléfique voyageant dans le temps et les dimensions parallèles, Zamasu et Black Goku, dont le final est déjà connu de ceux qui ont suivi l’anime.

Surtout, ce quatrième chapitre donne à voir l’étrange relégation dont est désormais objet le manga par rapport à son grand frère animé. Dès le début, on savait le dessin confié à Toyotaro, et non à l’auteur original lui-même, Akira Toriyama. S’il tente de coller au style de Toriyama, on ne peut s’empêcher à chaque page de relever l’infime écart qui le sépare du maître : postures forcées, moues figées, même si la découpe des cases a gagné en dynamisme depuis le premier tome.

Cheveux roses, rouges, bleus... des éléments scénaristiques impossibles à retranscrire dans un format manga. / © TOYOTARO/AKIRA TORIYAMA

Problème capillaire

Mais c’est surtout dans sa narration que ce manga en noir et blanc paye un lourd tribut à son nouveau statut d’œuvre secondaire. Et le problème est essentiellement capillaire. Dans l’œuvre originale, lorsque les héros dépassaient leurs limites (la fameuse transformation en Super Saiyan, un guerrier d’élite), leur puissance nouvelle était représentée par une nouvelle coupe de cheveux blanche, ou jaune dans le dessin animé, dont la longueur pouvait s’étirer jusqu’à l’arrière des genoux. A l’époque, le choix de cette représentation était intimement lié à la fabrication de la bande dessinée, et au temps pris par le beta-nuri, l’encrage en noir, relatait Toriyama en 2009.

« Pour être honnête, j’ai décidé du design du Super Saiyan pour une raison simple qui risque de vous étonner. Je travaille toujours avec une seule personne, mon jeune assistant, qui m’épaule. Il passait souvent l’essentiel de son temps à encrer en noir les cheveux de Goku, donc le principal objectif était de lui faire gagner du temps. Quand Goku se transforme en Super Saiyan, il n’y a plus besoin de coloriser ses cheveux. Cela permet aussi de marquer visuellement la différence de force, donc cela permettait de faire d’une pierre deux coups. »

Mais désormais, c’est l’esthétique télévisuelle qui guide le scénario. Goku s’est découvert dans les films et le dessin animé Dragon Ball Super de nouvelles transformations capillaires rouges, puis bleues. Il affronte son sosie Black Goku, qui lorsqu’il veut atteindre un nouveau stade de puissance, mue en rose. Et tout cela, un manga en noir et blanc, est dans l’impossibilité de le représenter. Alors, il le décrit.

© TOYOTARO/AKIRA TORIYAMA

Exégèse chromatique

Dragon Ball Super, version papier, c’est ainsi l’impression étrange d’assister à un match de football en noir et blanc, avec des commentateurs sportifs tentant tant bien que mal de faire comprendre qui joue de quelle couleur. Ainsi de ce passage où Vegeta a pour stratégie de se changer en Super Sayien God (touffe rouge) et de basculer pour quelques millisecondes seulement en Super Saiyan Blue (crinière bleue), et il faut toutes les bavardes explications de Goku pour donner un peu de sens à ce qui, visuellement, n’en a aucun.

Tout ce quatrième tome, censé être consacré à de grands combats d’arts martiaux entre guerriers intergalactiques, prend dès lors la tournure d’une exégèse chromatique bavarde et assommante, où les personnages secondaires finissent par devenir plus essentiels à la compréhension de l’intrigue que les protagonistes eux-mêmes.

Sans doute n’est-ce pas un hasard si le meilleur moment de ce quatrième tome est l’usage par Zamasu de microportails pour se battre à distance : cette pure idée visuelle se contrefiche de la couleur pour fonctionner ; elle n’a pas besoin d’explication ; elle se contente de recours à des cercles sombres qui dynamitent la logique des pages blanches. Et pendant quelques instants alors, Dragon Ball redevient Dragon Ball. Une formidable machine à inventer des motifs visuels innovants, et à déployer de manière dynamique et élégante des scènes d’action d’une rare virtuosité.

© TOYOTARO/AKIRA TORIYAMA