Neymar lors du match face à la Belgique, le 6 juillet à Kazan. / JEWEL SAMAD / AFP

Tous les quatre ans, la Coupe du monde donne rendez-vous à la planète pour faire le point sur la compétition elle-même et sur le football des nations.

  • Le nivellement des valeurs

Il n’y avait déjà plus de petites équipes, il n’y en a désormais plus de grandes non plus. Du moins celles-ci connaissent des difficultés croissantes, incluant de spectaculaires déconvenues. Il est de plus en plus difficile d’être fort pour les nations majeures, face à des collectifs solidaires et parfaitement organisés, dont les joueurs sont transcendés par l’événement et le port du maillot national.

Si d’ordinaire la hiérarchie se rétablit dans le dernier carré, qui tolère rarement plus d’un outsider, il compte cette fois deux sélections jamais titrées et une qui n’a plus connu de finale depuis celle remportée il y a plus d’un demi-siècle. La présence de la Belgique et de la Croatie ne surprend pas (celle de l’Angleterre un peu plus), mais l’hécatombe a été cruelle pour l’Allemagne, l’Espagne, l’Argentine et le Brésil — douze titres sur vingt et un.

  • Un football plus équitable

Le football de sélections souffre, sur le plan de la qualité de jeu, de la comparaison avec celui des superclubs européens, dont les effectifs proposent de meilleurs best of que ceux des nations et qui peuvent travailler toute l’année à haute intensité. Il faut alors moins attendre d’un Mondial une belle qualité technique et tactique qu’une autre sorte de spectacle : des surprises, des révélations, des renversements, quelques matchs spectaculaires, des images marquantes, de grands drames et beaucoup de petites histoires.

Surtout, le football de sélections rétablit une incertitude qui manque de plus en plus aux grands championnats européens et à la Ligue des champions : on a le sentiment que, de nouveau, tout peut arriver. Que le petit peut faire tomber le gros, que l’on peut remonter un écart de deux buts à la 80e minute, qu’un attaquant de Toulouse peut mystifier le meilleur gardien du monde.

  • Les stars encore à la peine

Ces temps sont durs pour les stars. Dans la position d’hommes providentiels sur lesquels leurs équipes ont trop compté, Messi, Cristiano Ronaldo et Neymar ont dû prendre des vacances précoces : s’ils ont pesé, ce ne fut pas assez pour compenser les lacunes collectives. Les comportements de divas ont été particulièrement sanctionnés, avec un Neymar (qui aura arboré plus de coupes de cheveux que marqué de buts) dont l’image aura souffert de ses atermoiements et de ses cabrioles.

Leurs échecs soulignent une différence importante : en club, ils évoluent au sein d’effectifs de très haut niveau, composés et configurés pour leur permettre de briller ; en équipe nationale, quand ce sont eux qui doivent se mettre au service de l’équipe, la responsabilité devient trop lourde. Les quatre demi-finalistes sont des formations qui ont réussi à faire corps et à fondre leurs individualités dans le collectif.

  • La fête des supporteurs

On avait pu le constater de près avec l’Euro 2016 : lors d’une phase finale, les supporteurs assurent une large part du spectacle, dans les stades et en dehors, fournisseurs officiels d’images colorées, de scènes comiques et de tubes inattendus. Le simple fait que des dizaines de milliers de Latino-Américains ou d’Asiatiques se déplacent à des milliers de kilomètres de chez eux dit quelle ferveur le nationalisme footballistique, des plus inoffensifs, recèle.

Les larmes finissent toujours par couler, brouillant le maquillage sur les joues, sauf chez les soutiens du vainqueur final. La question se pose : faut-il préférer la simple déception d’une élimination précoce ou la franche douleur des fins de longs parcours, sans le titre au bout ? (La réponse est la même qu’à « vaut-il mieux ne pas connaître l’amour afin de ne pas en souffrir ? ».)

  • La dernière Coupe du monde ?

La Coupe du monde est encore cette parenthèse enchantée, avec sa rareté quadriennale, son format d’un mois à haute intensité, sa formule idéale à trente-deux équipes en deux phases (l’exposition du premier tour, les dénouements en série des matchs à élimination directe), son identification à un pays organisateur. C’est précisément ce charme des phases finales qui semble en sursis.

L’Euro 2020 s’éparpillera dans douze pays. La Coupe du monde 2020 se déroulera dans un microEtat sans tradition de football, qui aura construit cinq stades de plus de 40 000 places dans sa seule capitale (800 000 habitants). La FIFA étudie la possibilité de passer à quarante-huit équipes dès cette édition, sans attendre celle de 2026 — coorganisée par le Mexique, les Etats-Unis et le Canada. Qu’ils soient géopolitiques ou économiques, la Coupe du monde est le jouet d’intérêts qui sont de moins en moins ceux du football. On peut craindre le rendez-vous de 2022.