Disons qu'il y a deux écoles. / MARCO BERTORELLO / FRANCK FIFE / AFP

Cholet avait accueilli le Tour de France en 1998. C’était le 15 juillet, et le directeur sportif de l’équipe Festina, Bruno Roussel, y avait été arrêté. Cholet avait accueilli le Tour de France en 2008. C’était le 8 juillet, l’Italien Ricardo Ricco y avait subi un contrôle positif à l’EPO, et l’Allemand Stefan Schumacher avait remporté l’étape, mais allait être déclassé trois mois plus tard, après s’être fait pincer lui aussi.

Cholet a accueilli le Tour de France en 2018. C’était hier, lundi 9 juillet, et il ne s’est rien passé de notable sur le front de l’antidopage, sauf si vous considérez comme notable l’absence de bronca à l’encontre de Chris Froome.

Les Sky, en calculant leur effort pour arriver 4 secondes derrière la BMC, ont soigneusement évité de remporter le contre-la-montre par équipes, et donc prévenu tout risque de recevoir des tomates sur le podium où ils auraient dû venir saluer la foule en cas de victoire. Habile.

L’hostilité a disparu ; on voit mal comment elle pourrait ne pas ressurgir cet après-midi à Sarzeau à l’arrivée de la 4e étape, vu la façon dont le patron de la Sky, Dave Brailsford, s’en est pris au maire de cette ville de 7 825 habitants, qui se trouve être, par ailleurs, le big boss du vélo mondial : David Lappartient, président de l’Union cycliste internationale (UCI).

Résumons l’affaire franco-britannique : à la veille du départ du Tour, David Lappartient, qui a dû gérer la résolution in extremis de l’affaire Froome, répond aux confrères de BBC Sport. Il laisse entendre que l’imposant budget de l’équipe Sky a largement contribué à tirer d’affaire son leadeur salbutamolé, blanchi à la veille du Tour, neuf mois après un contrôle anormal.

« Froome a bénéficié d’un soutien financier pour trouver de bons experts afin d’expliquer la situation », dit le président de l’UCI. Qui ajoute, dans nos colonnes, que les coureurs sont égaux « devant les règlements », mais pas « devant les moyens » : « C’est comme les hommes politiques ou les industriels, qui peuvent avoir plus de moyens de se défendre devant la justice. » Boum.

Réponse le surlendemain, au matin de la seconde étape. « Au départ, je lui ai accordé le bénéfice du doute, dit Dave Brailsford au sujet de Dave Lappartient, élu président de l’UCI en septembre. Je me suis dit “O.K., il débute à ce poste, il ne mesure manifestement pas encore les responsabilités du rôle de président”. Je pense qu’il a toujours une mentalité de maire français. Si vous êtes président d’une fédération internationale, n’adoptez pas un point de vue français ou nationaliste, protégez tout le monde au sein de cette communauté internationale. Je pense qu’il est encore en train d’apprendre. Plus vite il apprendra les responsabilités d’un président de fédération internationale, mieux ce sera pour tout le monde, mais il a encore du boulot. » Bim.

Réponse à la réponse, ce matin dans Le Parisien : « En m’insultant en tant que maire, il insulte les 35 000 maires français et les Français en général. Je ne sais pas ce qu’il cherche avec ça. Il ne se rend pas compte qu’il faut des maires qui prennent des étapes du Tour de France pour que de telles grandes épreuves aient lieu. Il n’a pas compris grand-chose au cyclisme. » Bam.

David Lappartient sera vraisemblablement sur le podium à l’arrivée cet après-midi pour féliciter les lauréats d’une étape promise aux sprinteurs, qui auront une ligne droite finale longue de quatre kilomètres pour s’en donner à cœur-joie. Sauf imprévu, aucun Sky ne grimpera sur scène pour revêtir de maillot distinctif. Dommage, la poignée de main aurait été savoureuse.

Départ 13 h 5. Arrivée prévue vers 17 h 45.

A PART ÇA, après Sagan avant-hier, vainqueur et maillot jaune un an après avoir été exclu du Tour 2017 (ce qui a plongé son père dans un état second), un autre revenant a pédalé dans le bonheur hier : Richie Porte avait quitté le Tour en miettes l’an passé, il vient de remporter le chrono par équipes avec la BMC, qui compte dans ses rangs le nouveau Maillot jaune, Greg Van Avermaet.

ET SINON, nous ne pouvions faire l’économie d’un salut à l’incomparable touch du cycliste Boris Johnson, qui a démissionné hier de son ministère des affaires étrangères britannique.

Le Tour du comptoir : Cholet

Chaque matin du Tour, En danseuse vous envoie une carte postale du comptoir d’un établissement de la ville-départ de la veille.

Où l’on pleure devant la France moche.

Chaque été, le Tour permet d’établir ce constat : si la France est le plus beau pays du monde, elle est souvent capable d’être le plus moche dès lors qu’on s’écarte du cœur des villes. N’ayons pas peur des mots, la laideur absolue de dizaines de milliers de kilomètres carrés de constructions procure parfois de sévères bouffées de détresse, et interroge sur la valeur de notre civilisation.

Prenez Cholet. Son impressionnante église du Sacré-Cœur, son élégante place Travot, sa si belle tour du Grenier à sel. Et puis sa galerie commerciale PK3, en périphérie, un désastre. Que s’est-il passé pour que le cerveau d’un architecte puisse concevoir un truc pareil, et que celui d’un élu puisse le trouver séduisant ? A quel moment la laideur est-elle devenue acceptable ? Serait-ce vraiment si cher de construire quelque chose de beau ? Qu’est-ce que le beau ? L’esthétique d’un lieu a-t-elle un impact sur le moral de ceux qui l’occupent ? Voilà le genre de questions qu’on se pose en traversant le pays quand on suit le Tour de France.

Xavier et Denis.

Le Tour du comptoir s’est arrêté à L’Anonyme, au cœur de la galerie PK3, et a déprimé avec deux Nantais qui, mangeant une salade italienne (tomate-mozza-poitrine fumée), partageaient notre désarroi : « A Nantes, il y a de plus en plus d’habitants, alors on construit dans tous les sens, on détruit de vieilles maisons pour les remplacer par des barres d’immeubles. Ça n’embellit pas la ville. »

Xavier, fonctionnaire au ministère des affaires étrangères (tiens, une sorte de confrère lointain de Boris Johnson), et Denis, employé chez Orange, sont venus pour assister au Tour, que fabriquent-ils dans cet endroit ? « On voulait manger un morceau avant le départ de l’étape, et on n’a trouvé que ça d’ouvert, tout était fermé au centre-ville », raconte Xavier. L’endroit est « un peu impersonnel », convient-il. Ça n’a pas empêché la salade italienne d’être savoureuse, ni le personnel d’être fort sympathique.

La situation géographique de L’Anonyme pose une autre question : est-ce que cela rend fou de travailler dans un lieu d’où l’on n’aperçoit pas un coin de ciel de la journée ? On pense à Gainsbourg et à son Poinçonneur des Lilas qui, sous son ciel de faïence, ne voit briller que les correspondances. Derrière son comptoir, où il sert des cafés depuis six ans, le serveur sourit, et s’en moque : « On voit le jour à partir de 20 heures, quand on rentre chez soi. Alors que dans les bars du centre-ville, on travaille jusqu’à 2 heures du matin. »