L’avis du « Monde » – à voir

Un danger menace le cinéma de Matteo Garrone, celui d’une certaine complaisance dans la peinture de figures plus grotesques que nature, d’une humanité dont la monstruosité folklorique désamorcerait la crédibilité et la sincérité d’un propos déterminé par l’alliage de situations familières, ou du moins réalistes, avec un certain baroque carnavalesque.

Lire la critique parue lors du Festival de Cannes : « Dogman », farce macabre à l’italienne

Le précédent film du cinéaste, Tale of Tales (2015), avait marqué les limites d’une recette qui s’était laissé absorber par un goût faisandé pour l’abstraction fantaisiste de l’enluminure. Alors que les voyous napolitains de Gomorra (2008) ou la famille prolétarienne et naïve de Reality (2012) étaientparvenus à une forme d’authenticité que ne menaçaient pas certaines outrances. Pour cela, le cinéaste a mis au point un style particulier. Une manière de rendre « naturel » ce qui semble parfois excéder toute nature. En immergeant sa caméra, souvent portée à l’épaule, au cœur des scènes, en optant pour l’illusion d’une captation des aléas d’une vie marginale, Matteo Garrone a su concilier banalité et théâtralité farcesque. Dogman retrouve donc, avec un certain bonheur, cette veine.

Le film est tiré d’un fait divers réel de la fin des années 1980

La réussite du nouveau film de Matteo Garrone tient, en effet, dans cet équilibre délicat, cette manière de faire croire à une nature grotesque, mais non irréaliste, de la vie elle-même. Le film est tiré d’un fait divers réel de la fin des années 1980 dont le déroulement fut, paraît-il, encore plus horrible que sa transposition cinématographique.

Dans une banlieue oubliée du sud de Rome, Marcello, timide et chétif toiletteur pour chiens, revendeur de drogue pour arrondir ses fins de mois, doit subir les humeurs, les violences, le chantage affectif tout autant que la brutalité physique, de Simoncino, récemment sorti de prison, entraînant régulièrement le malheureux dans des ennuis qui lui vaudront plusieurs mois de prison. Comment échapper à l’emprise et à la violence d’un barbare qui empoisonne l’existence de la petite communauté de banlieusards paupérisés caractérisant l’environnement des deux hommes, communauté dont l’existence semble parfois tenir de la survie ?

Marcello Fonte dans « Dogman », de Matteo Garrone. / LE PACTE

Une parabole politique

Une des qualités du film de Matteo Garrone réside, tout d’abord, dans la façon dont il évite les conventions du film de genre. Certes, Dogman pourrait être assimilé, si on le réduisait à la seule structure de son récit, à un film de vengeance au terme duquel le héros obtiendrait, par la violence, un soulagement et une rétribution que le spectateur, mis en condition durant une heure trente parce qu’il a assisté au calvaire de Marcello, aurait appelés de ses vœux. Mais cette issue, catharsis finale longtemps désirée, ne sera toutefois qu’une manière de continuer l’abjection du présent, l’horreur comme dernier recours d’un faible face à la force. Un échec peut-être et du moins une action qui laissera le protagoniste, à l’aube, sur son coin de plage sordide, encore plus seul, comme écarté désormais de l’humanité elle-même.

On a pu voir dans le film de Matteo Garrone une parabole politique – Simoncino incarnant le retour d’une barbarie venue du passé pour se nourrir, tout en les accroissant, de l’angoisse et du désarroi engendrés par la crise économique et morale de la société italienne en particulier, de l’Europe en général. Dogman réussit aussi le miracle de transporter le spectateur au cœur d’un univers où, à la vérité d’une approche sociologique et anthropologique, se mêle l’artificialité d’un singulier carnaval humain et animal. La farce y est donc inséparable de la tragédie. Il est raisonnable de penser que la formidable performance de Marcello Fonte (prix d’interprétation au Festival de Cannes) y a largement contribué.

Film italien de Matteo Garrone. Avec Marcello Fonte, Edoardo Pesce, Alida Baldari (1 h 42). Sur le Web : www.le-pacte.com/france/prochainement/detail/dogman