Chronique. Les hommes politiques nigérians n’avaient jamais vu cela. Pour eux, la visite d’Emmanuel Macron, les 3 et 4 juillet, fut aussi impalpable qu’un mirage. Et pour cause, tout a été calculé pour éviter des rencontres avec les représentants politiques. Un puissant sénateur confie ainsi avoir eu le sentiment d’assister à une « visite privée », davantage qu’à un traditionnel séjour d’un président d’une puissance occidentale.

Un discours devant le Congrès (Assemblée et Sénat réunis), privilège rare au Nigeria – Bill Clinton et Jacob Zuma ayant été les deux derniers invités – avait été un temps envisagé par la diplomatie française. L’idée avait même été accueillie chaleureusement par le président du Sénat, Bukola Saraki. Cependant Emmanuel Macron, qui a appris à connaître le Nigeria en 2002 lors de son stage de l’ENA à l’ambassade de France d’Abuja, a choisi de limiter au strict minimum les contacts avec les figures politiques locales, véritables machines de guerre pour gagner les élections et faire fructifier leurs affaires, mais souvent très éloignées des préoccupations de leurs citoyens.

Outre le passage obligé auprès du président Muhammadu Buhari pour discuter de la sécurité du Sahel et de la lutte contre Boko Haram, l’un des rares succès de l’occupant d’Aso Rock depuis trois ans, ainsi que les échanges avec le gouverneur de Lagos Akinwunmi Ambode, aucun élu de haut niveau n’a été visité par le chef de l’Etat français.

Bouillonnante société civile

Quel message Emmanuel Macron a-t-il voulu faire passer par ce choix ? Considérant que le changement du Nigeria, pays classé 148e plus corrompu sur 180 par Transparency international, ne passera pas par ses hommes politiques actuels, M. Macron a privilégié le contact avec une bouillonnante société civile et une nouvelle génération d’hommes d’affaires en train d’éclore à Lagos.

Le président a ainsi pris soin de rencontrer de jeunes entrepreneurs lors d’échanges modérés par l’homme d’affaires nigérian Tony Elumelu, habitué aux séjours parisiens. Les participants ont pu directement poser leurs questions à l’hôte d’un soir sur des thèmes aussi divers que le business, les migrations vers l’Europe, le rôle de la France pour aider le Nigeria, ou son parcours jusqu’à sa conquête de l’Elysée à 39 ans.

Le milieu culturel a également été à l’honneur avec une soirée au New Afrika Shrine, le club fondé par le créateur de l’afrobeat Fela Kuti et repris par son fils Femi Kuti, et l’inauguration de l’Alliance française, financée en grande partie par l’un des hommes les plus riches du pays, le patron du groupe pétrolier Conoil, Mike Adenuga. Enfin, le milieu sportif n’a pas été oublié avec la rencontre d’étudiants au lycée français de Lagos pour présenter un partenariat entre l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique) et la NBA afin de construire des terrains de basket et promouvoir des formations sportives destinées à plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest.

Echec complet de la gouvernance

L’aisance d’Emmanuel Macron en anglais et ses réponses mettant constamment en valeur la nécessité de trouver des modèles locaux pour mieux éviter de suivre ceux venant de l’Occident a évidemment eu une forte résonance chez les jeunes nigérians. Le président français sait trop bien l’importance de flatter la fibre patriotique nigériane et combien le logiciel colonial britannique n’a plus d’importance pour le pays le plus peuplé d’Afrique (190 millions d’habitants). Le Nigeria est totalement décomplexé par rapport à Londres, devenue au fil des années, pour les plus aisés, un lieu pour y poursuivre ses études ou faire ses achats, mais plus une capitale capable d’influer sur les décisions politiques de son ancienne colonie. Le décalage avec certains pays d’Afrique francophone dont le regard est toujours aimanté vers Paris est patent.

Le discours de M. Macron a ainsi été parfaitement calibré pour toucher cette jeunesse connectée, dont une partie voyage en Afrique et au-delà, qui a accès aux crédits grâce à un système bancaire parmi les plus dynamiques du continent ou recevant des bourses de la part des dizaines de milliardaires locaux.

En somme, en évitant soigneusement de rencontrer les élus, le voyage d’Emmanuel Macron a mis en exergue, sans le dire explicitement, l’échec complet de la gouvernance du pouvoir politique nigérian. En effet, les Nigérians qui réussissent le font bien souvent malgré l’Etat et non grâce à la puissance publique.

Benjamin Augé est chercheur associé aux programmes Afrique et Energie de l’Institut français des relations internationales (IFRI).