L’avis du « Monde » – à voir

Petite séquence cinématographique avec le gaucher le plus rageur, et sans doute le plus génial, de l’histoire du tennis mondial, John McEnroe. En novembre 2017 sortait Borg/McEnroe, de Janus Metz Pedersen, reconstitution fictionnelle de la finale qui opposa les deux légendes en 1980 à Wimbledon. Psychologie plan-plan (allons donc chercher dans l’enfance des deux champions le secret de leur tennis) relevée par le grain de folie de Shia Labeouf dans la peau de McEnroe.

Rien de tel dans John McEnroe, l’empire de la perfection, de Julien Faraut. Ici, du « found footage » (« réemploi d’archives »), de l’expérimentation, du montage, de l’essai cinématographique, autour du joueur décortiqué en vedette américaine. Passionné de sport et de cinéma, Faraut trouve un travail qui lui convient au petit poil dans les services des archives audiovisuelles de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep).

Gil de Kermadec, directeur technique national du tennis français, a filmé les champions, de 1977 à 1985, à chaque tournoi de Roland-Garros

Parmi les 2 500 boîtes qui traînent, il tombe sur un film consacré à McEnroe, ainsi que sur la série de rushes qui l’accompagnent. Auteur de ces prises de vues réalisées durant les matches de Roland-Garros, Gil de Kermadec, directeur technique national du tennis français, passionné de pédagogie, rêvant de trouver le Graal de la perfection en filmant les gestes, tel Etienne-Jules Marey cherchant à travers la chronophotographie le secret du mouvement. Débutant par des films d’initiation à mourir d’ennui (démonstrations de gestes au ralenti), il change rapidement sa caméra d’épaule et se met à filmer les champions, de 1977 à 1985, à chaque tournoi, dans l’espoir de percer le secret de leur jeu.

Combat contre lui-même

Le film sur McEnroe est le dernier de la série, qui fait l’objet de tous les soins de Julien Faraut. Le mêlant aux rushes qui en ont été écartés, le réalisateur en pétrit la matière par le montage. Répétition, ralentis, réverbération, voix off, rock lourd. On y reconnaît le sale gosse perfectionniste du tennis des eighties : service dos au filet, art fulgurant du service-volée, jets de raquette, récriminations lancinantes, insultes diverses. L’essentiel n’est pas là. Il tient dans le mystère du combat que mène le sportif contre lui-même. Dans l’incertitude terrible qui en découle – telle cette défaite surprenante contre Lendl en finale de Roland-Garros en 1984 – gît toute la magie, toute la passion, toute la grandeur de ce spectacle.

D’où que Jean-Luc Godard et le critique Serge Daney, deux figures du cinéma qui ont parlé dans leurs écrits du tennis, soient ici convoquées. Sous une plume alerte et déphasée, Daney avait chroniqué régulièrement le tennis dans Libération ; un livre en a même été tiré (L’Amateur de tennis, P.O.L, 1994). McEnroe y est défini comme le joueur dont l’hostilité du monde à son égard, qu’il n’aime rien tant que provoquer, « est sa drogue ». Et de cette sanglante arène, quand le demi-dieu payant tribut à la perfection tennistique ne sort pas vainqueur, voyez aussitôt l’enfant boudeur qui réapparaît.

Documentaire français de Julien Faraut (1 h 30). Sur le Web : www.ufo-distribution.com/movie/lempire-de-la-perfection