C’est un rapport très ambivalent qu’a rendu, mardi 10 juillet, la commission d’enquête sénatoriale sur « l’organisation et les moyens des services de l’Etat pour faire face à l’évolution de la menace terroriste », pilotée par les sénateurs Bernard Cazeau (LRM, Dordogne) et Sylvie Goy-Chavent (Union centriste, Ain). Après six mois d’auditions et la quasi-intégralité d’un rapport faisant le constat que les moyens matériels et juridiques de la lutte contre le terrorisme se sont fortement améliorés ces dernières années, la commission adresse en même temps une vive et inattendue mise en garde à l’exécutif, relevant de « fortes inquiétudes pour l’avenir ».

Véritable synthèse des dispositifs qui ont pu être déployés depuis l’explosion de la menace djihadiste, ce rapport sénatorial est une bonne source pour qui veut avoir une vue d’ensemble sur l’état réel des forces de l’organisation Etat islamique aujourd’hui, ou les choix stratégiques faits depuis 2014 en matière de recrutement au sein des services de renseignement, d’attribution des budgets ou encore de réserve opérationnelle. Le travail de la commission d’enquête permet aussi de comprendre avec acuité le poids de ce nouveau contentieux de « masse » qu’est devenu le terrorisme pour la justice, alors que 47 % des personnes condamnées en la matière depuis 2002 seront libérées d’ici à 2020 et 82 % en 2022, selon des chiffres dévoilés par ailleurs, mardi, par Catherine Champrenault, la procureure générale près la cour d’appel de Paris.

Serpent de mer

Mais le paradoxe du rapport réside sans doute dans ses propositions. Une longue liste de soixante-trois mesures dont la plupart sont déjà mises en œuvre, d’autres en voie de l’être ou d’ordre purement symbolique et politique. Les élus insistent ainsi pour « davantage mettre en œuvre la possibilité d’expulser des individus radicalisés fichés S de nationalité étrangère ». Cas qui fait déjà l’objet d’une vigilance accrue. Les deux sénateurs reprennent aussi à leur compte la proposition présidentielle de « faire des maires des acteurs à part entière du renseignement » en leur donnant accès au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste. Un dispositif contesté, déjà effectif, en pratique, dans certaines villes, mais non systématisé en raison du secret opérationnel.

Concernant les « revenants » de la zone irako-syrienne, les sénateurs plaident pour « assurer un suivi à long terme (…) des mineurs ». Mais, une fois encore, sans mettre en perspective leur proposition. Cette problématique est déjà intégrée par les services de renseignement, mais elle bute sur les questions de protection de l’enfance et les réticences des professionnels du secteur. La commission d’enquête insiste également pour la prise en charge dans les quartiers d’évaluation de la radicalisation des détenus de droit commun « radicalisés ». Ce système est réservé aujourd’hui aux seuls détenus mis en cause dans des affaires de terrorisme. Là encore, le problème est connu de l’administration pénitentiaire, mais il ne devrait être résolu qu’à partir de 2019, le temps de déployer les moyens nécessaires.

Les sénateurs s’attardent enfin sur le salafisme. Un courant qu’ils aimeraient voir inscrit sur la liste des « dérives sectaires » de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Un débat ancien ici aussi, véritable serpent de mer, qui n’a jamais abouti en raison de ses écueils juridiques et de ses résultats possiblement très aléatoires. Les enjeux de cybersécurité, en revanche, nouvel axe stratégique de la lutte contre le terrorisme, sont peu développés par ce rapport qui se contente de mettre l’accent sur les difficultés de recrutement ou sur la nécessité d’augmenter les capacités de déchiffrement.