Dejan Lovren et Domagoj Vida exultent mercredi soir. / CARL RECINE / REUTERS

Au terme d’une course effrénée qui s’achève devant la tribune garnie de leurs supporteurs, les deux colosses glissent sur les genoux dans une synchronisation parfaite. A l’image de leur équipe, les défenseurs croates Dejan Lovren et Domagoj Vida ont été, mercredi 11 juillet, héroïques, en demi-finale de Coupe du monde. Au bout du suspense de la prolongation, la Croatie a éliminé l’Angleterre (2-1), qui se voyait déjà de retour en haut de l’affiche.

Quelques secondes plus tard, c’est le capitaine Luka Modric et le sélectionneur Zlatko Dalic, main dans la main, qui saluent victorieusement la foule. Puis, le latéral hyperactif de l’Atletico Madrid, Sime Vrsaljko, plaque au sol son coach quand le Barcelonais Ivan Rakitic est porté en triomphe par un géant de 2,01 m, le gardien remplaçant Lovre Kalinic. D’autres encore brandissent des drapeaux personnalisés au nom de leur fief, un vrai tour de Croatie : Zadar sur la côte dalmate pour le gardien Danijel Subasic ou encore Slavonski Brod à la frontière bosnienne pour le buteur Mario Mandzukic.

Au-delà la fatigue, pourtant menée d’entrée 0-1 par des Anglais trop sûrs d’eux, l’équipe de Croatie s’est qualifiée pour la première finale d’un Mondial de sa courte histoire. Vingt ans après une défaite lors du tournoi 1998 sur le même score (1-2) contre les Bleus de Lilian Thuram et Aimé Jacquet qui les avait privés d’une finale.

L’exploit est immense pour une nation indépendante depuis 1992 et qui ne compte qu’un peu plus de quatre millions d’habitants. « C’est incroyable ! Je crois qu’on n’est pas encore conscients de ce qui vient d’arriver. Ce n’est pas vraiment un miracle, on a accompli quelque chose que seuls les grands joueurs peuvent accomplir. On a joué avec le cœur », a déclaré Mandzukic, auteur du deuxième but, celui de la victoire.

Troisième prolongation consécutive

Côté croate, l’heure était toujours de longues minutes après le coup de sifflet final à la célébration. En attendant de se reposer, la communion est totale. On oublie les crampes, les courses incessantes et les contacts qui ont été de plus en plus rudes au fil des minutes.

Une multitude de bambins, maillot au damier rouge et blanc sur le dos, courent au milieu de leurs paternels. L’un se prend en pleine face le roc Vida. Queue-de-cheval détachée, le défenseur relève la petite tête blonde et l’embrasse sous les hourras des siens. Homme de caractère, il a été galvanisé par les sifflets des spectateurs russes à chaque ballon touché. Il lui était reproché son soutien affiché à l’Ukraine, samedi à Sotchi, après le quart remporté face au pays hôte.

En 1998, la légendaire génération emmenée par Davor Suker avait terminé à la troisième place. Les successeurs de Robert Prosinecki ou de Zvonimir Boban ont franchi une marche supplémentaire. Aujourd’hui président de la Fédération croate, Suker, meilleur buteur du Mondial français, peut compter sur Ivan Perisic ou Mario Mandzukic pour marquer des buts.

C’est Perisic, ancien Sochalien, qui a fréquenté deux saisons la réserve du club doubien avant ses 20 ans, qui a égalisé ; il a été élu une nouvelle fois meilleur joueur du match. Le joueur de la Juventus, Mandzukic, est lui une sorte d’Olivier Giroud, un avant-centre qui défend plus qu’il n’attaque. A une différence près, il marque : deux buts en six matchs. Au milieu, la paire Luka Modric et Ivan Rakitic fait bien entendu l’objet de toutes les attentions. C’est bien simple, il n’y a pas plus grand technicien que le premier nommé. Son extérieur du pied est soyeux et il imprime le rythme de son équipe. Et le deuxième est loin d’être maladroit.

Dans quel état de forme seront-ils tous ? Pour la première fois depuis les matchs à élimination directe, Modric a par exemple demandé à sortir avant la fin. Véritable patron de la Croatie, il traîne derrière lui une saison harassante avec son club du Real Madrid, avec lequel il a remporté fin mai une troisième finale de Ligue des champions d’affilée.

Après les éliminations précoces du Portugais Cristiano Ronaldo, de l’Argentin Lionel Messi et du Brésilien Neymar, le génial numéro 10 est plus que jamais prétendant au Ballon d’or. « A un moment, je voulais faire des remplacements mais personne ne voulait sortir. C’est incroyable, personne ne voulait abandonner. Cela montre le caractère de cette équipe », a lancé l’entraîneur Zlatko Dalic en conférence de presse.

Luka Modric a encore une fois tout donné avec la Croatie. / MLADEN ANTONOV / AFP

Aucune victoire contre la France

Dimanche 15 juillet, au moment de pénétrer sur cette même pelouse de l’immense stade Loujniki pour le match le plus important de leur histoire, les footballeurs croates auront disputé trois fois trente minutes, soit un match de plus en dix jours seulement, que leurs adversaires français. Sans parler des deux séances de tirs au but, forcément énergivores, lors du huitième de finale face aux Danois et en quart de finale face aux Russes. Pour couronner le tout, les Balkaniques auront bénéficié d’une journée de repos en moins.

A n’en pas douter, les kinés des Vatreni (« les flamboyants ») auront à manipuler de la cuisse et du mollet. L’avantage sera évident pour les protégés de Didier Deschamps, qui, en plus, s’affirment depuis le début de la compétition comme l’une des sélections à la condition physique la plus rutilante.

Entre la France et la Croatie, l’opposition de style sera complète. D’un côté, des Bleus qui apprécient de laisser le ballon à l’adversaire pour mieux le prendre de vitesse. De l’autre, des Croates qui aiment avoir la possession du ballon mais qui ont semblé parfois manquer d’inspiration depuis la fin du premier tour, où ils avaient livré leur meilleur rencontre en écrasant l’Argentine (3-0).

« Personne ne peut être plus heureux que moi de jouer contre la France en finale. J’ai vu presque tous les matchs [des Bleus] dans cette Coupe du monde. Ils ont augmenté leur niveau au fur et à mesure de la compétition. C’est une équipe qui sait jouer défensivement, qui a un très bon coach et de très bons joueurs », a analysé Ivan Perisic.

Scène surréaliste dans le métro moscovite, lorsqu’un sosie officiel du sélectionneur anglais Gareth Southgate, poussant la ressemblance jusqu’à porter son fameux gilet, fraternise avec un supporteur croate sur le dos du rival français : « Contre la France, ça sera difficile mais les mecs, vous avez votre chance. J’espère que vous allez les battre. »

En cinq rencontres (trois défaites et deux nuls), c’est une chose que les footballeurs croates n’ont jamais réussi à faire. Tout comme ils n’avaient jamais atteint une finale de Coupe du monde. Les Bleus sont prévenus.