Analyse. C’est sur un nouveau média, Twitter, que le vieux président du Cameroun, Paul Biya, a annoncé, vendredi 13 juillet, sa candidature à sa propre succession. Au pouvoir depuis 1982, le chef d’Etat âgé de 85 ans briguera un septième mandat lors de l’élection présidentielle à un tour fixée au 7 octobre. Sur ces mêmes réseaux sociaux circule depuis quelques jours un message d’un autre genre, sous la forme d’une vidéo. Elle se déroule dans l’Extrême-Nord du Cameroun, sans doute dans l’un de ces villages désolés lovés dans les collines pierreuses du Mayo-Tsanaga. On y voit de présumés militaires aux tenues dépareillées user de leur kalachnikov pour exécuter à bout portant deux femmes – et leurs deux enfants, dont un bébé – soupçonnées d’être des complices de Boko Haram. Ces images d’atrocités ont suscité une vive indignation au Cameroun et au-delà. Elles viennent brutalement rappeler que le pays qui s’apprête à voter est en guerre.

Cette candidature de la dernière chance se déroule dans un contexte sécuritaire dégradé qui fragilise et menace directement le système brutal, prédateur et secret de Paul Biya. C’est la première fois que ce chef d’Etat, très souvent en résidence à l’Intercontinental de Genève, fait face à plusieurs conflits sur son territoire. Car, à défaut d’avoir apporté des avancées démocratiques ou développé économiquement son pays, Paul Biya a garanti durant ces trente-six ans au pouvoir une certaine forme de paix et de stabilité dont il n’a cessé de se prévaloir pour justifier son maintien à la tête de l’Etat, par la force. Cette fois, l’« homme de paix » à la gouvernance autocratique est contraint de se muer en chef de guerre, sur plusieurs fronts.

Arsenal de répression

Dans la région de l’Extrême-Nord, la plus pauvre du pays, l’armée régulière, épaulée par les troupes d’élite ainsi que par la force multinationale mixte de l’Union africaine, continue de lutter contre des djihadistes affaiblis de Boko Haram. A l’effort militaire se conjugue un arsenal de répression facilitée par la proclamation de l’état d’urgence et d’une législation anti-terroriste utilisée aussi pour arrêter des journalistes, des acteurs de la société civile et des opposants.

La guerre contre Boko Haram se poursuit dans ce grand nord à l’économie ravagée par le conflit et à la situation humanitaire toujours préoccupante. Entre-temps, une nouvelle crise a éclaté fin 2017 dans les deux régions anglophones de l’ouest du pays, frontalières du Nigeria. Cette fois, l’intégrité territoriale est en jeu tant les militants radicaux de ces territoires, considérés comme des « terroristes » par Yaoundé, veulent croire à la sécession de leur « République d’Ambazonie ». Armés de vieilles pétoires et, pour le moment, de quelques armes de guerre, près de mille hommes désespérés affrontent les forces de sécurité camerounaises à qui ils infligent de lourdes pertes. Depuis novembre 2017, plus de 80 militaires et policiers ont été tués, selon le gouvernement. Près de 135 selon le décompte de International Crisis Group (ICG). Jeudi, la veille de l’annonce de la candidature de Paul Biya, le convoi du ministre de la défense a été visé par une attaque à Kumba, ville située en zone anglophone et dévastée par les violences.

« L’ampleur de cette crise illustre bien les limites d’un système de gouvernance hypercentralisée malgré une décentralisation qui s’est révélée purement factice, constate Hans de Marie, chercheur spécialiste de l’Afrique centrale à l’ICG. La fin de mandat de Paul Biya coincide avec une multiplication des conflits sans que l’on voie un renforcement des institutions capables de débuter des processus de résolution de ces crises. Plus le régime s’achemine vers la fin et plus il se durcit, ce qui est inquiétant. »

Peu de place à la surprise

Chaque jour ou presque, au nord ou à l’ouest du pays, des morts tombent sous les balles de « terroristes », d’« assaillants », de « rebelles », de « sécessionnistes »… La guerre contre le terrorisme de Boko Haram a cet avantage qu’elle peut aisément sembler légitime, être acceptée, voire encouragée par la communauté internationale et par la population, d’autant qu’elle se déroule bien loin de Yaoundé et de Douala. Celle contre les sécessionnistes se situe à moins de 100 km de ces métropoles et risque de déborder au-delà des régions anglophones.

Des soldats camerounais patrouillent dans la ville de Buéa, dans la région anglophone du Sud-Ouest, théâtre d’affrontements depuis la déclaration symbolique de sécession le 1er octobre 2017. / AFP

Longtemps à huis clos, elle a fini par fuiter sur les réseaux sociaux où s’accumulent désormais des images d’exactions et de brutalités commises par les forces de sécurité, mais aussi par les miliciens. Des cafés branchés de Douala aux bars des quartiers populaires, nul n’ignore plus qu’une guerre impitoyable se déroule entre le pouvoir de Paul Biya et des concitoyens désespérés qui, au départ, ne faisaient que manifester pour demander le respect au quotidien de leur spécificité anglophone. Le président se refuse toujours à débuter un dialogue avec les leaders de ce qui est devenu une rébellion sécessionniste. Laquelle n’en est encore « qu’au début », comme le promettent ses chefs « militaires » en quête de financement pour s’armer.

A ces deux guerres déclarées s’ajoutent une lutte sans merci contre le grand banditisme armé à la frontière centrafricaine et un important déploiement militaire dans la péninsule de Bakassi, rétrocédée par le Nigeria en 2008. Sur les eaux et dans les criques marécageuses de ce territoire stratégique et riche en pétrole grouillent toujours des gangs lourdement armés.

Paul Biya se bat sur quatre fronts tout en préparant sa campagne pour la présidentielle, laissant peu de place à la surprise, comme l’explique l’intellectuel camerounais Achille Mbembe. « La possibilité d’une révolte par les urnes étant presque nulle, l’hypothèse d’une lutte armée fait de plus en plus l’objet de débats au sein de groupuscules radicaux, de plus en plus nombreux », note le professeur à l’université du Witwatersrand, en Afrique du Sud, dans un texte paru dans Le Monde Afrique.

Ces tensions qui ne cessent d’empirer menacent la bonne tenue du processus électoral. Après les législatives, les élections municipales viennent d’être décalées d’une année par décret présidentiel, sans qu’aucune explication n’ait été donnée. Seule la présidentielle se tiendra. S’il est élu, Paul Biya quittera le pouvoir à l’âge de 92 ans.