Kolinda Grabar-Kitarovic, présidente de la République de Croatie, pendant le match Danemark-Croatie, le 1er juillet. / Darko Bandic / AP

C’est « sa » Coupe du monde. Même en déplacement à Bruxelles pour le sommet de l’OTAN, Kolinda Grabar-Kitarovic, la présidente de la République de Croatie, n’a pu s’empêcher d’enrouler autour de son cou un foulard en damier rouge et blanc, le caractéristique šahovnica, blason de la Croatie.

Une coquetterie patriotique qui illustre combien la présidente croate, à la tête du pays depuis trois ans, est devenue la première ambassadrice de son équipe nationale, qui a réussi l’exploit de se hisser en finale du Mondial et affrontera, dimanche 15 juillet, la France.

Congés sans solde

Dès les huitièmes de finale, celle que le magazine Forbes place à la 39e place de son classement des femmes les plus puissantes du monde avait mis le paquet. Après la qualification des Croates dans une poule D pourtant très disputée, Mme Grabar-Kitarovic annonce prendre un « congé sans solde » pour se rendre en Russie, et achète un siège sur une ligne commerciale classique. Un voyage évidemment immortalisé sur les réseaux sociaux, alors que la présidente ne se départit plus de son maillot des Vatreni (les Flamboyants).

Le soir du 1er juillet, la présidente croate choisit de suivre la rencontre contre le Danemark depuis les travées du stade de Nijni-Novgorod, plutôt que d’opter pour la tribune présidentielle où se massent les autres responsables politiques. Là encore, la machine de communication fonctionne à plein pour montrer l’enthousiasme de celle que les médias rebaptisent la « première supportrice du pays ».

En quart de finale, Kolinda Grabar-Kitarovic remet ça pour gagner Sotchi : congé sans solde et nouveau vol commercial. Cette fois, elle reste dans la tribune présidentielle, aux côtés du président de la FIFA, Gianni Infantino, et du vice-président russe, Dmitri Medvedev. Au terme d’une épique séance de tirs au but, elle opte pour un geste triomphal, poings serrés en l’air pour marquer le « V » de la victoire.

Quelques minutes après la fin du match, la présidente croate poste sur ses réseaux sociaux des images d’elle dans le vestiaire, donnant une chaleureuse accolade à l’entraîneur Zlatko Dalic, puis dansant gaiement au milieu des joueurs.

Des victoires qui « forgent l’identité nationale »

Cet enthousiasme présidentiel est loin d’être anecdotique, dans un pays issu de l’éclatement de la Yougoslavie. Depuis son indépendance, le 25 juin 1991, le football y a toujours été instrumentalisé pour porter le récit national, et faire rayonner à l’étranger ce petit Etat de 4,1 millions d’habitants.

Le premier président du pays, Franjo Tudjman ne s’y trompait pas, créant des liens plus qu’étroits entre son pouvoir et le monde du ballon rond. « Les victoires en football forgent l’identité nationale autant que les guerres le font », affirmait-il, lui qui s’affichait toujours en tribune les jours de match important du Dinamo Zagreb, qu’il fit un temps rebaptiser Croatia Zagreb pour en effacer la connotation communiste.

En 1998, alors que le pays participe à sa première Coupe du monde et crée la surprise en atteignant les demi-finales, Franjo Tudjman et son hégémonique parti, l’Union démocratique croate (HDZ), multiplient les mises en scènes patriotiques. La rumeur dit alors que le président croate a même un droit de regard sur la composition de l’équipe nationale…

Réseau mafieux

Cette étroite association a toutefois vite donné lieu à des dérives. La fédération nationale de football croate est devenue, au fil des ans, un réseau à caractère mafieux, contrôlé par des proches du parti HDZ : elle est ainsi la fédération européenne ayant le plus subi de condamnations et sanctions de la part de l’Union des associations européennes de football (UEFA).

Un héritage dont ne s’est jamais vraiment départi Kolinda Grabar-Kitarovic. Loin d’avoir fait le ménage, la présidente croate entretient des relations avec des personnalités souvent sulfureuses du football croate. Ainsi, durant le quart de finale contre la Russie, elle était accompagnée dans les gradins par Danir Vrbanovic, directeur général de la fédération, condamné à trois ans de prison dans une affaire d’escroquerie. L’homme a fait appel de cette décision.

Kolinda Grabar-Kitarovic, entourée notamment du président de la FIFA, Gianni Infantino, et du premier ministre russe, Dmitry Medvedev. / HENRY ROMERO / REUTERS

Proximités douteuses

Ce scandale, dans lequel plus de 15 millions d’euros ont été détournés lors de transferts de joueurs, a éclaboussé l’équipe nationale. Plusieurs stars sont mises en cause, et le meneur, Luka Modric, soupçonné de faux témoignage, risque même la prison.

Surtout, ce scandale a fait tomber Zdravko Mamic, vice-président de la fédération croate. Condamné à six ans et demi de prison pour avoir touché d’importantes sommes sur les transferts de Dejan Lovren à Lyon et de Luka Modric à Tottenham lorsqu’il était à la tête du Dinamo Zagreb. Ce dernier a choisi de se réfugier en Bosnie et d’en prendre la nationalité, pour éviter une extradition.

Kolinda Grabar-Kitarovic, a été contrainte de reconnaître que cette personnalité « controversée » du football croate avait organisé plusieurs dîners en sa faveur, notamment pour sa campagne présidentielle.

Mais ces proximités douteuses entre monde du football et politiciens ne choquent plus tant que ça dans un pays si coutumier du fait. Sur Twitter, le chercheur Dario Brentin, spécialiste du football dans les Balkans, a estimé que « beaucoup de fans craignent que le succès de la Croatie à la Coupe du monde compromette leur lutte pour un football plus démocratique, en fournissant aux détenteurs du pouvoir actuel un important capital social, culturel et économique ».

Pour la plupart des supporteurs, en revanche, la question de la récupération politique n’est qu’un enjeu « secondaire » par rapport à l’enjeu sportif, selon le spécialiste.

Dimanche, pour la finale, la présidente croate sera bien évidemment au stade. A l’image de la nation croate, la présidente ne s’économisera pas pour soutenir son équipe nationale. Tout comme son homologue français, Emmanuel Macron, attendu dimanche à Moscou.