A Ouagadougou, deux jours après le putsh manqué du 16 septembre 2015. / JOE PENNEY/REUTERS

« Ce jour-là, j’ai reçu l’ordre du major Eloi Badiel d’arrêter le président de la transition, Michel Kafando. » A la barre, la mine grave, Moussa Nébié, dit « Rambo », le chef présumé du commando qui a perpétré le putsch manqué du 16 septembre 2015, a livré le récit de cette journée cruciale face à la cour du tribunal militaire de Ouagadougou où se poursuit, en cette mi-juillet, le procès des 84 personnes impliquées dans la tentative de coup d’Etat qui avait fait 14 victimes et 251 blessés.

« Toi, tu prends Kafando ; Nion [l’adjudant Jean-Florent Nion], tu t’occupes de Zida. Pas de coups de feu ! », lui aurait ordonné son supérieur. « J’ai démarré mon véhicule en trombe pour la présidence. Ce jour-là, le conseil des ministres se tenait au premier étage. Je suis entré dans la salle et j’ai dit au président : Excellence, nous sommes attaqués dehors, je suis venu vous chercher pour vous mettre en sécurité. Sans hésitation, il m’a suivi et nous sommes partis », détaille ce fidèle de Gilbert Diendéré, le chef du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) qui avait pris la tête du coup de force et principal accusé du procès.

Moussa Nébié, poursuivi pour cinq chefs d’inculpation, dont celui de « meurtre », « coups et blessures » et « attentat à la sûreté de l’Etat », affirme avoir accompli sa mission avec « un sentiment de peur, de courage et de fierté ».

Les langues se délient

Plus de quatre mois après l’ouverture du procès, tant attendu par les Burkinabés pour faire la lumière sur cette tentative de faire échouer le régime de transition mis en place après la chute de Blaise Compaoré, les langues se délient enfin. « Chef d’orchestre », « messager » ou encore « agent double », peu à peu les rôles des personnages clés se précisent avec le début des interrogatoires, il y a deux semaines.

« J’ai l’impression que tous ceux qui se sont succédé à la barre se sont concertés pour tout déverser sur moi », Eloi Badiel

Au fil des déclarations, un nom revient déjà dans la bouche des différents inculpés : celui d’Eloi Badiel, décrit par les autres sous-officiers comme « le chef d’orchestre » de l’exécution du putsch. « Il était la pièce maîtresse de l’opération et il savait qui devait faire quoi », affirme Rambo. « J’ai l’impression que tous ceux qui se sont succédé à la barre se sont concertés pour tout déverser sur moi », a répliqué l’intéressé. L’adjudant chef major Eloi Badiel reconnaît avoir dirigé l’opération d’arrestation des membres du gouvernement de la transition « sur instruction du général Diendéré ».

Selon sa version des faits, le sergent chef Roger Koussoubé aurait servi de messager au « grand chef ». « Je lui ai demandé si c’était le général qui avait ordonné cela et il a répondu par l’affirmative. Quand j’ai cherché à savoir la cause, il m’a dit que la dissolution du RSP était à l’ordre du jour du conseil des ministres », explique Badiel. De son côté, Roger Koussoubé nie avoir transmis un quelconque message.

« Si je lui avais dit qu’on a donné l’ordre d’arrêter le président et ses ministres, il aurait dû me faire arrêter par ses éléments ou alors vérifier l’information lui-même et non exécuter un ordre. »

Quelques minutes plus tard : nouveau coup de théâtre. Le sergent chef, qualifié « d’agent double » par les avocats de la partie civile, reconnaît avoir « travaillé discrètement pour l’ex-premier ministre Isaac Zida » et reçu de sa part 8 millions de francs CFA (12 200 euros).

« J’avais entendu que des sous-officiers tenaient des rencontres secrètes la nuit dans des cimetières. J’en rendais compte discrètement à Zida. »

Dissensions profondes

A en croire les révélations de Koussoubé, le général Gilbert Diendéré, l’ex-premier ministre de la transition Isaac Zida et l’ancien ministre des affaires étrangères Djibrill Bassolé, également inculpé, avaient chacun leurs fidèles soutiens au sein du régiment. « Le RSP était très affaibli. Il y avait trois camps : ceux fidèles au corps [pro-Diendéré], les pro-Zida et ceux qui répondaient aux ordres du général Bassolé, dont faisait partie le major Badiel », soutient cet ex-agent des services de renseignement burkinabé.

L’ancien corps d’élite de l’armée burkinabée était donc miné par des dissensions profondes : à l’époque, certains soldats soupçonnaient le lieutenant-colonel Isaac Zida de vouloir dissoudre le régiment et, toujours selon ses dires, les soutiens de Bassolé auraient voulu profiter de cette crise interne pour « tenter un coup » en faveur de leur général. « Certains soldats approchaient les jeunes dans les moments difficiles et leur donnaient de l’argent », indique-t-il.

Peu avant la suspension de l’audience, le sergent-chef Roger Koussoubé a promis de nouvelles révélations à venir à condition que « des dispositions soient prises pour assurer la sécurité de sa famille ». Pas de doutes : les rebondissements devraient être nombreux dans ce procès hors norme impliquant 84 accusés, plus de 300 parties civiles et une trentaine de témoins.