Un troupeau de cyclistes et un peloton de vaches. / STEPHANE MAHE / REUTERS

7E ÉTAPE : FOUGÈRES - CHARTRES, 231 KM

Le 4 × 4, ce poison du vélo moderne : « C’est quatre échappés qui prennent la fuite après 4 kilomètres, voient leur avance atteindre les quatre minutes et se font reprendre à 4 kilomètres de la ligne. Et ça, pour moi, c’est l’horreur. (…) Ces dernières années, les équipes de sprinteurs ont changé leur façon de courir et les étapes de plat sont devenues, il faut le dire, très chiantes. » Dans un entretien d’avant-Tour avec les confrères du Gruppetto, Thierry Gouvenou, le « dessinateur » du parcours, évoquait son goût pour les longues étapes de plat sans difficulté majeure vouées à un sprint massif. Parfait : aujourd’hui et demain nous attendent deux longues étapes de plat sans difficulté majeure vouées à un sprint massif.

Cela dit, vu la logique qui régit la première semaine de course, peut-être faut-il réellement s’en réjouir. Pour l’instant, rien ne se passe comme prévu, l’animation a eu lieu là où on ne l’attendait pas, et les journées alléchantes se sont révélées sans saveur. Les montagnettes russes vers Quimper (avant-hier) puis la double ascension de Mûr-de-Bretagne (hier) devaient faire voler en éclats le peloton, qui a plutôt volé en escadrille, groupé jusqu’à la ligne d’arrivée. Les seuls écarts créés par ces deux étapes pourtant soigneusement conçues l’ont été sur incidents mécaniques, pour Bardet et Dumoulin. La nervosité et les ronds-points de la 1re étape toute plate avaient fait plus de dégâts.

C’est ainsi : vous pourrez vendre des côtes piégeuses à la douzaine, les coureurs font ce qu’ils veulent, et s’ils ont décidé qu’ils ne voulaient rien faire, ils ne feront rien. Il faut bien constater que le Tour est devenu une course entre épiciers accrochés à leur boulier, tétanisés à l’idée de se faire arnaquer. Cela dit, on n’est pas cycliste sur le Tour de France (ni épicier), alors gardons-nous de jugements péremptoires quant au manque apparent d’audace. Il faut ménager sa monture. Ce n’est pas nous qui, dans les deux semaines qui viennent, allons devoir gober les pavés de Roubaix, puis les Alpes, puis les Pyrénées.

Le Tour sans l’ennui, ça ne serait plus le Tour

Il est vrai que, face au spectacle frustrant de la meute paradant à un train de sénateur dans les bosses, la critique est tentante. Bernard Hinault a d’ailleurs mis son traditionnel taquet au peloton, qu’il aurait évidemment dynamité s’il en avait fait partie : « Aujourd’hui, beaucoup de coureurs ont peur de perdre, donc ils ont peur de gagner, a-t-il dit à l’AFP. Il faut prendre des risques. Personne n’ose et tout le monde attend le dernier moment. (…) Est-ce que si j’avais été coureur [aujourd’hui], le cyclisme serait fermé ? Pas sûr. »

Avec le Tour de France revient chaque été le débat sur l’ennui (la preuve : cette phrase a été copiée-collée depuis un article écrit ici même l’an passé). Il y a pourtant bien longtemps que le Tour n’est plus une course cycliste, du moins plus seulement, et n’a pas besoin d’un volet sportif palpitant pour bien se porter. L’ennui n’est pas une menace, il ne vide pas les bas-côtés de leurs spectateurs, ni les canapés de leurs téléspectateurs. Le Tour résiste à tout, il s’accommode des scandales de dopage qui le secouent, de sa confiscation par un coureur impopulaire plusieurs années de suite, ce n’est pas l’ennui dans lequel il plonge parfois ses suiveurs qui l’effraie.

Le seul moment chaud de l’étape d’hier : des bottes de foin en feu. / STEPHANE MAHE / REUTERS

Au contraire, même, peut-être. Les après-midi de torpeur passés à suivre, l’œil mi-clos et le filet de bave menaçant, le peloton sillonnant la France profonde, c’est aussi ça, la beauté du Tour. Pardon, mais ce n’est pas une finale de Coupe du monde qui vous fera traverser, en une seule et même étape, comme aujourd’hui, Saint-Denis-de-Gastine, Châtillon-sur-Colmont, Saint-Georges-Buttavent, La Chapelle-au-Riboul, Villaines-la-Juhel, Moulins-le-Carbonnel, Neufchâtel-en-Saosnois, Le Gué-de-la-Chaîne, Saint-Martin-du-Vieux-Bellème et Champrond-en-Perchet.

L’an dernier, un cycliste néerlandais qui tenait une chronique dans Het Nieuwsblad avait rédigé ce texte au lendemain d’une étape vaguement soporifique.

Mais que serait le Tour sans les siestes et le repos mental qu’il offre ? A quoi ressemblerait un Tour électrique de bout en bout ? Comment apprécierait-on un moment fort s’il n’y avait que des moments forts ? Voudrait-on vraiment la fureur des classiques d’un jour pendant vingt et un jours de suite ? Notre cerveau de spectateur ne le supporterait pas, sans même parler des jambes des coureurs. Non, le Tour sans l’ennui, ça ne serait plus le Tour. Même ceux qui râlent, dans le fond, apprécient ces journées d’apathie. Contre quoi râleraient-ils sinon ? Alors un seul conseil pour les 231 kilomètres et cinq heures à tuer cet après-midi : ennuyez-vous bien !

Au revoir la Bretagne ! / Peter Dejong / AP

Départ à 12 h 20. Arrivée prévue vers 17 h 35.

Le Tour du comptoir : Brest

Chaque matin du Tour, En danseuse vous envoie une carte postale du comptoir d’un établissement de la ville départ de la veille.

Où l’on découvre de nouveaux concepts de restauration.

Ici c’est Brest, comme on gueule au stade Francis-Le Blé, et il ne pleut pas. Ce n’est pas nous qui le précisons, c’est Jean-Michel Texier, le patron du Fender, comme la guitare. Il lui revient, et à nous aussi, que la dernière fois que le Tour est parti de Brest – au sens propre : c’était le départ du Tour –, en 2008, il tombait des seaux d’eau sur la ville de Miossec. Là, c’est grand bleu, un mois que ça dure, voire plus : « On n’a pas vu ça depuis 1976. » Il se souvient de cet été lors duquel Eric Tabarly avait remporté la Transat anglaise sur Pen-Duick VI. Depuis, le marin est mort et la ville lui a donné une partie du port, un quai entier où s’alignent des bars lounge face aux voiliers. Le Fender est juste à côté.

Si Brest est un port, où sont les bars à filles et les dockers tatoués ? Disparus depuis vingt ans, ou « noyés dans la masse », dit Jean-Michel. Les quais sont devenus le centre névralgique d’une ville qui a résisté à la crise, parce que le secteur public emploie plus d’un tiers des actifs et que la municipalité PS est dynamique, même s’il précise bien qu’elle n’est « pas de [son] bord ». Sur les quais, il y a trois boîtes de nuit et 30 à 40 restaurants, contre cinq ou six quand il s’est installé, il y a vingt-trois ans.

Les Brestois, ils sortent, dit Jean-Michel, c’est pas comme les Quimpérois « qui sont bien chez eux, parce que c’est confortable ». Son frère avait « une belle affaire à Quimper » mais avec ces pantouflards de Quimpérois, ce n’était pas la fortune non plus.

Et sinon, pourquoi un Tex-Mex ?, a-t-on naïvement demandé avant de s’apercevoir que le Fender faisait aussi pizzeria et gastronomie française. « Parce qu’il n’y avait pas de Tex-Mex à Brest. » Ça se tient.

Et sinon, pourquoi le Fender ? « Quand on a acheté les locaux, on est montés à Paris pour voir ce qui marchait, c’était la mode des Planet Hollywood, du Hard Rock Café, ça nous a bien plu. On en a parlé à notre décorateur, il nous a proposé une thématique autour de la Fender », répond Jean-Michel en caressant son gigantesque bar en forme de Fender, « à l’échelle ».

« Mais… Vous êtes passionné de guitare ?
– Ah non, pas du tout. »