Le peloton de la 8e étape du Tour de France, en pleine imitation du peloton de la 7e étape du Tour de France. / PHILIPPE LOPEZ / AFP

Une cathédrale, une échappée sans espoir et un sprint remporté par Dylan Groenewegen : étrange sentiment de déjà-vu samedi à Amiens, où l’emballage final, magnifique, est marqué par un tête-à-épaule entre Fernando Gaviria et Andre Greipel. Et leur déclassement, qui permet à Sagan de finir pour la 41è fois sur le podium d’une étape du Tour. La longue transhumance du peloton s’achève demain soir à Roubaix, mais cette fois, il ne prendra pas la route la plus facile.

  • Le jury plie le maillot vert

S’il demeurait le moindre doute sur le nom du vainqueur du classement par points cette année, il n’y en a plus : le déclassement de Fernando Gaviria, annoncé une heure après l’arrivée et qui fait remonter Peter Sagan à la deuxième place de l’étape, est lourd de conséquences au classement par points. Au lieu de 21 points de retard sur Sagan, le Colombien en a désormais 63. Les bookmakers peuvent fermer les paris : sauf chute, le Slovaque remportera le maillot vert à Paris.

» Les classements du Tour de France

Vous objecterez qu’on le savait déjà avant, et vous aurez raison. Vous objecterez que le jury n’a pas à prendre en compte le classement par points, et vous aurez raison. Vous objecterez que c’est j’ai donc tort, et vous aurez raison.

Andre Greipel, pas réputé pour être dangereux, a d’abord cru avoir été sanctionné pour un léger changement de ligne et réagi sur Twitter : « Quand on fait son sprint, on garde sa ligne. Je n’ai pas des yeux dans le dos et je n’ai pas à laisser quiconque m’écarter de mon chemin. »

C’est en fait pour un coup de casque visant le sprinteur de la Sunweb Niklas Ardnt, dans le dernier kilomètre, que l’Allemand a été sanctionné. L’impudent avait tenté de prendre la place de Greipel dans la file, tel un malotru au supermarché. Audacieux.

Gaviria, lui, a tenté d’aller là où il n’y avait pas la place et essayé de bouger le « gorille de Rostock » (auquel nous déclarions notre flamme ici il y a un an). Audacieux.

Interrogé avant le déclassement de Gaviria, l’ancien sprinteur Tom Steels, désormais directeur sportif de la Quick-Step, n’imaginait pas une seconde que le Colombien puisse être déclassé, et évoquait plutôt l’erreur de son coureur : « Quand la bataille commence entre les sprinteurs.. C’est sûr que l’espace entre la barrière et Greipel était petit et Greipel avec son expérience, évidemment qu’il reste à sa place. Gaviria aurait dû passer de l’autre côté. C’était risqué. Ce sont des choses qui arrivent dans le sprint. »

La décision du jury tend visiblement à faire que ces choses-là n’arrivent plus. S’il était né en 1995, Djamolidine Abdoujaparov n’aurait peut-être jamais été cycliste.

  • Dan Martin est (encore) tombé

Dan Martin en poursuite après une chute, en pleine imitation de Dan Martin en poursuite après une chute. / JEFF PACHOUD / AFP

On serait Vincenzo Nibali, Rigoberto Uran ou Mikel Landa, on se méfierait : il semble écrit par les scénaristes du Tour 2018 que chaque grand leader aura sa part de malchance avant d’arriver dans les Alpes. Samedi, Daniel Martin a succédé à Froome, Porte, Quintana, Dumoulin et Bardet et perdu une minute et 15 secondes après une chute survenue à 17 kilomètres de l’arrivée.

C’est lui que vous voyez se relever et courir en hurlant, à la fin cette vidéo en caméra embarquée au cœur de la chute. En arrivant au bus, il s’est plaint de s’être fait couper la route par un congénère.

Le contre-la-montre par équipes n’étant pas le fort de l’équipe UAE-Emirates, on l’avait vu à Cholet (15è), et Dan Martin a donc perdu une minute et 16 secondes supplémentaires sur les autres leaders, de quoi redescendre assez vite du nuage sur lequel il était depuis le début de ce Tour. Sa victoire impressionnante à Mûr-de-Bretagne avait confirmé le sentiment, chez lui, qu’il y avait un podium à jouer. Désormais, c’est moins sûr : Dan Martin, que la chronique a consacré symbole du vélo clean, accuse un débours de deux minutes et 47 secondes au classement général.

Surtout, aussi dur au mal soit l’Irlandais, il devrait souffrir sur les pavés de Roubaix dimanche. On l’a vu monter les marches de son car ; aucune personne normalement constituée n’irait dans cet état affronter le secteur de Mons-en-Pévèle.

« Il a mal partout, il est plumé de la tête au pied. Son dos est lacéré », constatait son directeur sportif Philippe Mauduit devant le bus de l’équipe UAE-Emirates. Les radios n’ont révélé aucune fracture, mais c’est faillible : l’an passé, Martin n’avait découvert qu’après le Tour qu’il s’était fait deux micro-fractures aux vertèbres dans une chute.

Car oui, l’Irlandais chute souvent. C’est soit qu’il est poissard, comme l’an dernier lorsque Richie Porte dérape juste devant lui dans la descente du mont du Chat (1’15 de perdue, déjà) ; soit qu’il semble tenir moins bien que d’autres sur sa machine, comme à l’arrivée de Liège-Bastogne-Liège 2014 (la victoire était peut-être pour lui) ou dans le contre-la-montre par équipes inaugural du Tour d’Italie, presque chez lui, à Belfast.

  • Les petites équipes sont suicidaires (ou héroïques)

Fabien Grellier, en pleine imitation de Thomas Voeckler. / MARCO BERTORELLO / AFP

À côté de ceux des maillots jaune, vert, à pois, et blanc, le quotidien sportif L’Equipe propose dans ses colonnes un classement non-officiel : celui des baroudeurs, en l’honneur des courageux ayant passé le plus de kilomètres échappés à l’avant de la course. Vous n’y trouverez personne de l’une des 18 équipes « World Tour », c’est-à-dire les équipes de première division, c’est-à-dire les équipes comptant dans leurs rangs un candidat aux victoires d’étape au sprint ou un candidat au classement général.

Vous n’y trouverez que les quatre autres équipes - Cofidis, Direct Energie, Fortuneo, et Wanty -, à savoir les équipes « invitées » par ASO, à savoir les équipes de second rang qui ne doivent leur présence qu’à la gentillesse des organisateurs du Tour, et qui sont absolument les seules à animer les étapes en attendant l’emballage final. Au point qu’on se demande s’il n’existe pas cette espèce d’accord tacite : « On vous invite si vous amusez la galerie pendant les trois heures qui précèdent le sprint. » « Non », répondent (étonnamment) les équipes concernées.

On se plaint du manque d’animation en cette première semaine de course. La vraie question, pourtant, n’est pas « pourquoi n’y a-t-il pas plus d’échappées ? », mais « pourquoi y en a-t-il encore ? », vu qu’il est devenu IMPOSSIBLE de gagner en solo une étape de plaine. Hilaire Van der Schueren, patron de l’équipe Wanty, qui envoie tous les jours quelqu’un à l’avant (aujourd’hui : Marco Minnaard), répond : « Guillaume Martin m’a dit “c’est le 14 juillet, les Français sont devant la télévision, on ne va pas rouler à 25 à l’heure pendant cinq heures !” »

« On peut aussi ne rien faire, grince Jean-René Bernaudeau, manager de l’équipe Direct Energie, maillot jaune au classement des baroudeurs grâce à Jérôme Cousin. L’autre jour [4e étape], les échappés ont été rattrapés à un kilomètre de l’arrivée… C’est déjà arrivé que ça aille au bout. Qui tente rien n’a rien. On respecte notre sport, on ne peut pas être sur le Tour de France sans les meilleurs grimpeurs, ni les meilleurs rouleurs, ni les meilleurs sprinteurs, et attendre les Champs-Elysées. »

« Il faudrait que d’autres équipes s’en inspirent, elles ne sont pas exemptes de tout reproche », poursuit Bernaudeau. Samedi, le Néerlandais Laurens Ten Dam, de l’équipe Sunweb, s’est retrouvé échappé pendant un moment, mais son équipe lui a demandé de couper son effort au bout de 15 kilomètres. « C’est encore pire, dit Bernaudeau. Qu’il ne soit pas dans l’échappée c’est une chose. Qu’il soit dans l’échappée et qu’on lui demande de se relever, c’est pas terrible. » Oui, mais il faut garder son énergie pour Tom Dumoulin, leader de la Sunweb et candidat à la victoire finale… La montagne arrive. Ça va faire tout drôle de voir d’autres équipes à l’avant.