Le président des Etats-Unis Donald Trump et la reine Elizabeth II au château de Windsor, le 13 juillet. / KEVIN LAMARQUE / REUTERS

L’impossible cousin d’Amérique, celui qu’on gâte mais qui vous méprise, a quitté l’Angleterre, ce vendredi 13 juillet au soir. La première ministre britannique Theresa May doit se sentir soulagée. Le président des Etats-Unis Donald Trump ne lui a rien épargné. Ni le désaveu claironné dans le tabloïd Sun de ses tentatives de rapprochement avec l’Union européenne (UE) dans la négociation du Brexit. Ni le coup de poignard dans le dos qui a consisté à désigner son adversaire, l’ultra brexiter Boris Johnson, comme « un type qui ferait un formidable premier ministre » à sa place. Insulte répétée devant l’intéressée lors d’une conférence de presse surréaliste, tenue en plein air à Chequers, la résidence de campagne des chefs du gouvernement britannique. Une sorte de cruel jeu de rôle où l’humiliée a dû ravaler sa fierté tandis que son persécuteur, tout en condescendance, faisait mine de s’excuser.

Oui, un article était paru dans la presse, a admis M. Trump, mais « il ne reflète pas ce que j’ai dit de la première ministre. C’est ce qu’on appelle des fake news », a-t-il osé. En réalité, Mme May est une « femme incroyable qui fait un travail fantastique ». En la revoyant vendredi matin, après la publication de l’interview assassine, a assuré le président américain, « je lui ai dit : “je voudrais m’excuser parce que [en réalité] j’ai dit beaucoup de bonnes choses sur vous”. Elle m’a dit : ne vous en faites pas, ce n’est que la presse. J’ai trouvé que c’était très professionnel. »

Quant au « niet » à un accord de libre-échange Londres-Washington pour cause de maintien des liens avec l’UE, clairement exprimé et justifié dans l’entretien du Sun, ce serait encore un malentendu. « Quoi que vous fassiez [sur le Brexit], ça me va, c’est votre décision. Assurez-vous seulement que vous pouvez commercer avec nous, c’est tout ce qui compte », a-t-il déclaré alors que chacun sait que l’option prise par Mme May va l’empêcher de conclure le « formidable » accord commercial promis par M. Trump indépendamment de l’UE.

Cela n’a pas empêché Theresa May d’afficher sa volonté d’aboutir à un accord « ambitieux » avec Washington une fois que la sortie de l’UE sera effective. Toute honte bue, la dirigeante britannique a offert au président américain un arbre généalogique illustrant son ascendance écossaise et remontant à la naissance d’un de ses aïeux en 1776, année où les Etats-Unis ont déclaré leur indépendance vis-à-vis du Royaume-Uni.

Persona non grata à Londres

Donald Trump n’a pas eu le droit à une visite d’Etat proprement dite et il a évité Londres et ses manifestants hostiles. Il a rencontré des officiels, des militaires et des patrons, mais s’est abstenu de tout contact avec la population, dont 77 % a « une mauvaise image » de lui selon un sondage. « J’aimais Londres autrefois. Mais à partir du moment où on vous fait comprendre que vous n’êtes pas le bienvenu, pourquoi, y séjournerais-je ? », a-t-il dit au Sun.

Sadiq Khan, le maire travailliste de la capitale, dont M. Trump a dit qu’il était « épouvantable » car ouvert aux immigrés et faible face au terrorisme, a laissé entendre qu’il était pris pour cible par le président américain en tant que musulman. Il est vrai que M. Khan avait autorisé, vendredi, le survol de Westminster par un énorme dirigeable gonflable orange représentant le président en bébé grincheux en train de tweeter et habillé d’une simple couche.

Persona non grata à Londres, le président a été gratifié d’un thé avec la reine au château de Windsor. En soixante-six ans de règne, Elizabeth II a rencontré les douze présidents américains en fonction, à l’exception de Lyndon Johnson. Donald Trump manquait à son palmarès, mais la photo de la souveraine âgée de 92 ans et légèrement voûtée, entourée du couple présidentiel américain rayonnant comme sur un selfie, provoque un sentiment de malaise et presque de pitié pour la digne vieille dame.

« Pas de thé pour Trump », protestait un manifestant dans Regent Street, à Londres, au moment même où la reine recevait le président. Des dizaines de milliers de marcheurs, de tous âges et de toutes origines ont exprimé, plusieurs heures durant, leur hostilité à la politique du locataire de la Maison Blanche. Peu de slogans criés, mais de retentissants sifflets. Beaucoup étaient venus avec une pancarte portant un slogan de leur invention. « Relation particulière [entre USA et Royaume-Uni] ? Je demande le divorce », proclamait l’une, tandis que d’autres lançaient : « Libérez Melania », « Résistons à Trump » ou « Trump à la poubelle » (« Dump Trump »). D’autres dénonçaient la chasse aux migrants, la séparation des enfants de leurs familles ou le « sexisme » du président.

Fossé entre « deux Royaume-Uni »

Certains manifestants tenaient à distinguer les Etats-Unis aimés, de leur président honni. Le défilé n’affichait pas la moindre compassion à l’égard de Theresa May, certes humiliée, mais qui réclamait la visite de Trump depuis son élection. Ça et là, quelques drapeaux européens rappelaient que le continent dans son entier est pris pour cible. « Trump veut juste affaiblir l’UE pour obtenir de meilleurs accords commerciaux, expliquait Alex, un bibliothécaire de 52 ans. Cela montre la force de l’Europe et la nécessité d’y rester. »

Déstabilisante pour un pays déjà en plein chaos politique, la visite présidentielle ne fait que creuser le fossé entre les « deux Royaume-Uni » : tandis que l’europhobe Telegraph apprécie la leçon « de vérité » anti-UE donnée par Donald Trump à Theresa May, le proeuropéen Guardian voit dans cette « visite infernale, désastreuse et embarrassante » le signe de la mise entre parenthèses de la « relation particulière » avec Washington. « M. Trump n’est pas notre allié. Il est hostile à nos intérêts et nos valeurs, affirme l’éditorial de samedi du quotidien de centre gauche. Il est plus attaché à affaiblir l’UE qu’à une Grande-Bretagne qui souhaite une UE prospère. » Avant de s’envoler pour un week-end dans l’un des golfs qu’il possède en Ecosse, le président américain a insisté : sa relation avec le Royaume-Uni est « la plus particulière qui soit ». Sa souffre-douleur Theresa May en sait quelque chose.