Les organismes croates ont souffert face à l’Angleterre. / DAMIR SAGOLJ / REUTERS

Ils ont emprunté « le chemin difficile » pour se rendre en finale. Comme le souligne leur entraîneur, Zlatko Dalic, la Croatie va, dimanche 15 juillet, « sans doute devenir la première équipe à jouer huit matches dans l’histoire de la Coupe du monde ». Car depuis la fin de la phase de groupes, les Vatreni (« flamboyants ») ont disputé les prolongations lors des huitièmes (1-1, 3-2 aux t.a.b. face au Danemark), quarts (1-1, 4-3 aux t.a.b. contre la Russie) et demi-finales (2-1 a.p. contre l’Angleterre). Trois fois trente minutes supplémentaires en dix jours, soit l’équivalent d’une rencontre de plus que les Bleus, leurs adversaires en finale.

Et ces longues minutes supplémentaires, adossées à un jour de récupération en moins que les Français, pourraient influer sur le jeu croate lors de l’ultime match de la compétition. Jamais, dans l’histoire, une nation ne s’était hissée en finale après avoir remporté trois rencontres après prolongations. Et seules deux équipes sont parvenues à conquérir le titre en ayant passé plus de temps sur le terrain que leur adversaire en finale : l’Italie (en 1934, 1938 et 2006) et la France (1998). Lors du dernier Mondial, l’Argentine de Lionel Messi est parvenue en finale après avoir disputé deux prolongations. Avec le résultat que l’on sait face aux Allemands, qui avaient passé moins de temps sur le terrain.

Disposant de seulement soixante-douze heures de récupération avant la finale, les Croates risquent d’arriver sur le pré de Moscou sur les rotules. « Trois jours de récupération, c’est court, souligne au Parisien l’ancien médecin des Bleus, Fabrice Bryand. Au niveau des règlements, c’est le temps minimum nécessaire pour ne pas mettre la santé des joueurs en danger. Ça permet d’évacuer les toxines, de refaire le stock énergétique mais ce n’est pas vraiment suffisant. »

Compenser par une volonté inébranlable

En dépit d’un gros travail sur la récupération, les Croates « ne seront pas frais physiquement, détaille à L’Equipe Alexandre Dellal, ex-préparateur physique de Nice. Pour eux, une quatrième prolongation, ce serait presque inhumain. Surtout en fin de compétition. » Pour autant, les Français ne doivent pas compter sur une défaillance des Vatreni à l’heure de se battre pour le titre mondial.

Car les hommes de Zlatko Dalic compensent leur manque de fraîcheur par une volonté inébranlable. « Les Croates sont forcément fatigués, souligne Gérard Houllier dans sa chronique au Monde. Mais on peut aussi se dire qu’ils ne peuvent que croire à leur étoile après un tel parcours. » Après la demi-finale face aux Anglais, le coach croate a mis en avant « la force et l’énergie qu’ont déployés » ses joueurs. Et de préciser avoir « voulu changer des joueurs, mais personne ne voulait sortir ». Ce n’est qu’à la 95e minute qu’il a effectué son premier changement. En dépit de plusieurs joueurs handicapés par des petites blessures, « tout le monde me répétait “je suis prêt, je peux encore courir” », a salué Dalic.

Sur les rotules, Luka Modric aura attendu la 118e minute de jeu avant de sortir. / CARL RECINE / REUTERS

Et courir, ils l’ont fait. Depuis l’entame de la compétition, les joueurs au damier ont parcouru 723,909 km en Russie (contre 607,409 km pour les Bleus) selon les chiffres de la FIFA. Mais les Vatreni ne s’en préoccupent guère. « On dirait que plus les matches durent, mieux nous sommes physiquement, s’exclamait mercredi le gardien monégasque Danijel Subasic. On a montré qu’on était au top physiquement, il faut juste bien se préparer. » « On connaît l’enjeu et dans ces moments, on oublie toute fatigue parce que c’est une opportunité qui ne se représentera peut-être jamais, complétait avant la demi-finale son coéquipier Dejan Lovren. Et on est assez professionnels pour savoir qui a besoin de quoi pour récupérer ». Même avec un jour de moins que la France.

« Une petite iniquité entre les deux équipes »

Ce jour de repos supplémentaire « ne sera pas forcément déterminant, mais cela induit une petite iniquité entre les deux équipes », relate au Temps l’ancien triathlète français, Grégoire Millet, désormais professeur à l’Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne. Notamment au milieu, car l’on récupère plus rapidement ses qualités de vitesse et d’explosivité que d’endurance. « Pour restaurer des aptitudes de sprint, il faut compter 48 heures, donc il n’y aura pas de problème sur ce plan-là, même pour les Croates, précise le chercheur, spécialiste de la préparation physique et de l’optimisation des méthodes d’entraînement. Par contre, pour retrouver sa capacité à produire de gros volumes de course, il faut compter entre 72 et 96 heures. On peut donc imaginer que les milieux de terrain récupérateurs croates souffriront davantage de fatigue résiduelle que leurs homologues français. »

D’autant que les milieux du pays des Balkans n’ont pas rechigné à la tâche depuis le début de la compétition. Modric, Rakitic et Perisic ont tous parcouru plus de 60 km depuis l’entame du Mondial, et sont suivis de près par plusieurs de leurs partenaires. Côté français, seul l’infatigable ratisseur – obligé de préciser qu’il n’avait bien « que » deux poumons – Ngolo Kanté, a parcouru des distances similaires (en quatre-vingt-dix minutes de moins).

Lors de la première mi-temps face à l’Angleterre, les maîtres à jouer croates, à commencer par leur « Petit Mozart » Modric, ont semblé lessivés, émoussés. Sans pour autant perdre leur justesse technique, au moment de se hisser en finale. « La fatigue n’altérera pas la capacité de Luka Modric à réussir une longue transversale millimétrée, complète Grégoire Millet dans le quotidien helvète. Nous sommes face à des joueurs qui ont un tel bagage technique que même émoussés physiquement, ils réussissent leurs gestes. »

A l’heure de disputer la première finale de Coupe du monde de leur histoire (vingt-sept ans après l’indépendance du pays), la Croatie n’entend pas laisser des jambes lourdes la priver d’un sacre. « On n’aura pas peur dimanche. Je suis sûr qu’on va récupérer à temps », a rassuré le sélectionneur. « Quand on joue une finale, la fatigue passe après, a renchéri le défenseur français Samuel Umtiti vendredi. On n’y pense pas trop sur un match, on se dit qu’on peut être champion du monde, même avec la fatigue. Ils seront là, ils seront présents, ils vont continuer à courir comme sur tous leurs matchs. » Fatigue ou pas, à lui et à ses coéquipiers de parvenir à terrasser les Flamboyants dimanche sur le pré de Moscou.