Le peloton se met en ordre de bataille pour préparer le sprint de Chartres, vendredi 13 juillet, à 150 kilomètres de l’arrivée. / JEFF PACHOUD / AFP

8E ÉTAPE : DREUX - AMIENS, 181 KM

« Le jour le plus long », titrions-nous hier. On aurait pu recycler la formule aujourd’hui, même si l’étape entre Dreux et Amiens ne compte que 180 bornes, 50 de moins que celle entre Fougères et Chartres. « C’était assez long, 230 kilomètres, on peut se demander si c’est bien nécessaire », a constaté le Maillot jaune Greg Van Avermaet hier, au bout d’une journée qui, il faut bien le reconnaître, a parfois rappelé les heures les plus sombres de notre Histoire.

(« J’adore cette étape-hommage à Jean-Marie Leblanc [ancien directeur du Tour, coutumier des étapes-fleuve-insipides. Encore, s’il vous plaît.].  »)

(« Je n’avais pas vu d’étape aussi ennuyeuse depuis la 6e étape en 2007 - et j’en étais. Un jeune homme dénommé Wiggins était le type seul à l’avant toute la journée »)

Vu les enjeux économiques du Tour aujourd’hui, et vu les invincibles armadas que sont devenues les équipes de sprinteurs, on a le sentiment que plus jamais une étape comme celle d’hier n’échappera à un finish en troupeau, et que son intérêt sportif est quasiment nul. Avis que partage manifestement avec nous Yoann Offredo, qui a dit sa colère à l’arrivée, en recourant carrément à l’usage du mot « quéquette » (cf. le lien ci-dessous).

Le Maillot vert Peter Sagan, statistique ahurissante, en a quand même profité pour franchir le cap des 40 places sur un podium du Tour, en 112 étapes disputées. Et l’éclopé Lawson Craddock, solide lanterne rouge, en a profité pour franchir le cap de l’heure de retard au classement général (1 h00’03’’). Pour le reste, le peloton a donc pris toooout son temps (5 h 43), mais quand même moins que Kevin Anderson et John Isner (6 h 35) en demi-finale de l’autre événement sportif majeur dont tout le monde se fiche actuellement, pour cause de Coupe du monde (étiez-vous au courant que Roger Federer avait été éliminé à Wimbledon ?).

La France entière ne pense qu’à demain, le Tour aussi, mais pas pour les mêmes raisons. Le peloton n’a que les pavés à l’esprit, les quinze secteurs de la route vers Roubaix, dont on peut espérer plus de spectacle et d’écarts que les huit premières étapes du Tour 2018 réunies. Autant dire que celle d’aujourd’hui, plate et peut-être très légèrement pimentée par le vent, va devoir faire se montrer bien imaginative pour ne pas tomber immédiatement dans l’oubli.

Une victoire d’Arnaud Démare (avec option pétage de durite de Marc Madiot) ferait peut-être l’affaire. Vaincu hier au pied de l’une des plus belles cathédrales de France, celle de Chartres, le Picard a l’occasion de prendre une revanche au pied d’une autre, celle d’Amiens (étant entendu qu’aucune de ces deux cathédrales n’arrive à la cheville de celle de Strasbourg). Mais un premier succès tricolore sur le Tour 2018, pour le sprinteur-chouchou de la patrie, un 14 juillet, à la veille d’une deuxième Coupe du monde, et deux semaines avant le sacre de Romain Bardet sur les Champs-Elysées, ça ferait sans doute un peu trop de bonheur d’un coup.

MARCO BERTORELLO / AFP

A PART ÇA, même le compte Twitter du Tour souligne qu’il n’y a pas grand-chose à écrire.

ET SINON, pour cause de crevaison d’une roue de leur bus, les coureurs de l’équipe Cofidis ont dû la jouer à l’ancienne hier matin, et faire le briefing d’étape dans le salon de la famille Dauguet. C’est jusqu’à présent le principal coup d’éclat de la formation française sur ce Tour.

Départ à 11 h 50. Arrivée prévue vers 15 h 45.

Le Tour du comptoir : Fougères

Chaque matin du Tour, En danseuse vous envoie une carte postale du comptoir d’un établissement de la ville-départ de la veille.

Où l’on vendit naguère des vaches sur un coin de table.

La ville de Fougères a adopté l’an dernier un slogan un poil agressif, qu’elle utilisait déjà dans les années 1990 : « T’as pas vu Fougères, t’as rien vu. » Agressif et faux, car la vérité serait plutôt : « T’as pas vu le café de l’Abattoir à Fougères, t’as rien vu », tant ce comptoir comme on les aime rivalise avec les merveilleux vestiges du château fort de la ville pour le titre d’attraction principale de cette sous-préfecture.

On y rencontre Claude, 51 ans, le taulier, qui a repris l’affaire il y a vingt-trois ans après une décennie à Paris, où il fabriquait des matelas et des sommiers. Le café de l’Abattoir, sur la place du même nom, se trouvait juste en face du bâtiment du même nom, qui avait franchement de l’allure.

Claude a ouvert son troquet le 1er juillet 1995. Le 1er janvier 1996, l’abattoir a fermé. Veaux, vaches et cochons sont allés se faire équarrir ailleurs, et ça a été la fin d’un monde, que Claude n’a qu’entr’aperçu, mais qu’il n’a pas oublié.

« Les fermiers et les bouchers se retrouvaient ici, et faisaient leurs affaires autour d’un verre. Plus le fermier payait à boire, plus il vendait sa bête cher. »

« Les types venaient en sortant de l’abattoir, on fermait parfois à minuit, 1 heure du matin, tant qu’il y avait du monde. On faisait de la tête de veau et des tripes, avec la viande qui venait d’en face, c’était quelque chose. Y avait beaucoup moins de contrôles qu’aujourd’hui, les mecs venaient avec leurs carcasses, on coupait ça à la hache, sur une table, dans une cuisine derrière, comme on pouvait. Ah, au niveau de l’hygiène, ça faisait peur. »

« Il arrivait qu’un fermier ait une bête blessée, il fallait alors l’abattre le plus vite possible, c’était parfois une question d’heures, pour sauver ce qui pouvait l’être. Alors le fermier venait à l’abattoir avec sa bête, et le tueur – on les appelait comme ça – lui disait “tu me paies un coup au café de l’Abattoir, sinon je tue pas ta bête.” »

La fermeture de l’abattoir a été difficile à encaisser, mais le café de l’Abattoir a survécu, et se porte bien. Tous les vendredis midi, c’est galette-saucisse. C’est sans doute pour cette raison que le Tour de France a choisi de faire étape à Fougères un vendredi. Claude et sa femme se sont levés à 3 heures du matin pour fabriquer la pâte des galettes. Les saucisses ne viennent plus d’en face, mais elles sont délicieuses. En temps normal, le café de l’Abattoir en écoule une centaine chaque vendredi. Le triple quand passe le Tour de France, ce qui est déjà arrivé quatre fois depuis 2013. L’abattoir, non content d’avoir été fermé, a été rasé. Ce sont désormais des habitations.