Les joueurs de l’équipe de France lors du match face à l’Australie, le 16 juin à Kazan. / SERGIO PEREZ / REUTERS

Chronique. Voir l’équipe que l’on supporte disputer une finale de Coupe du monde, c’est ressentir les délices d’une torture particulière : ce privilège s’accompagne d’une angoisse proportionnelle à la rareté de l’événement et à son enjeu. Durant d’interminables jours puis heures d’attente, nous ressassons tous les scénarios possibles, avec une prédilection particulière pour les pires scénarios possibles. On le sait, aller jusqu’en finale pour la perdre est une des perversions sadiques que nous inflige le football.

Généralement, les finales sont a priori indécises. Il y a bien un favori, mais ce sont des rencontres si singulières qu’elles peuvent basculer d’un côté comme de l’autre. Lors de sa première finale de Coupe du monde, l’équipe de France n’était pas favorite face au Brésil tenant du titre, qu’elle balaya presque facilement. Pour sa deuxième, elle l’était un peu face à l’Italie, qui l’emporta aux tirs aux buts. Il y a deux ans en finale de l’Euro, elle l’était nettement et s’inclina en prolongations. Qu’attendre d’une troisième finale mondiale dont elle est ultra favorite ?

Trop de maîtrise

Car il faut regarder cette terrible réalité en face : rarement une sélection s’est présentée avec une étiquette aussi bien collée. Après avoir passé l’épreuve de la phase de groupe sans trop trembler, elle a dominé l’Argentine dans un match débridé, puis assuré avec une grande maîtrise ses qualifications contre l’Uruguay et la Belgique, dans une moitié de tableau particulièrement rude. Elle s’est adaptée tactiquement sans difficulté à des situations différentes, et se présente sans blessés ni suspendus avec un groupe particulièrement uni, dont émane une impression de force collective.

En face, la Croatie fait figure de finaliste de fortune, de rescapée, qui a réchappé de trois prolongations et deux séances de tirs au but face à des adversaires modestes, lestée de l’équivalent d’un match entier par rapport à la France et d’un jour de récupération en moins, dont les meilleurs joueurs arrivent au bout d’une interminable saison (Rakitic, 70 matches), et qui n’a jamais disputé de finale.

Pour autant, aucune chance que les Tricolores prennent les Croates de haut : ils sont particulièrement instruits par leur défaite contre le Portugal en 2016, et aucune suffisance ne devrait amoindrir leur détermination.

Le spectre des victoires trop promises

Tous les voyants sont donc au bleu, la France est archi-favorite de cette finale. La tuile. Comment conjurer les spectres des victoires trop promises, depuis le Maracanazo de 1950 ? Les dieux du football sont des scénaristes facétieux qui aiment écrire des fins absurdes aux histoires trop belles (2006) ou trop logiques (2016). Surtout dans une Coupe du monde qui fait la part belle aux surprises et aux coups du sort.

Nous voilà en train d’inventer des dangers pour se faire une saine peur et écarter le sentiment fatal que tout va bien se passer. De relire les critiques formulées contre cette équipe et son sélectionneur au début de la compétition, pour se convaincre qu’elle n’est pas si forte. De se dire que le monde entier, ou presque, va souhaiter la victoire de l’outsider et concentrer de mauvaises ondes sur Moscou.

En réalité, il suffit de se rappeler, justement, qu’il s’agit de football. Et donc que tout est possible, surtout les désillusions. Une équipe ne fait jamais que charger, du mieux qu’elle peut, le plateau de la balance pour qu’elle penche en sa faveur. Mais elle peut bien mettre toutes les chances de son côté, un sport aussi aléatoire est susceptible de tout envoyer balader sur une tête au premier poteau à la 93e minute. Nous voici de nouveau inquiets, donc rassurés d’être inquiets. Quelle angoisse, vivement dimanche.