En finale, dimanche  15 juillet, à Moscou, Antoine Griezmann tire un coup franc à la 18e minute. Dévié par le Croate Mandzukic, ce coup de pied arrêté permet à la France d’ouvrir le score. / MAXIM SHEMETOV/REUTERS

Le malheureux va devoir s’y faire. Une fois de plus, les spectateurs l’ont désigné homme du match. Une fois de plus, leurs suffrages rappellent l’attaquant à son importance. Un journaliste insiste. Y aurait-il, en 2018, une « génération Griezmann », comme il y eut celle de Zidane en 1998 ? La rime est acceptable. La comparaison, un peu gênante, selon l’intéressé : « Vous me connaissez, je mets toujours le collectif en premier. »

Antoine Griezmann se voit en héraut, pas en héros. Un porte-parole de l’équipe, un saute-ruisseau, tout ce que l’on voudra, mais rien d’autre que le membre d’un collectif. Le message, au soir du dimanche 15 juillet : si la France a remporté sa deuxième étoile de championne du monde, dans le ciel orageux de Moscou, elle le doit avant tout à un groupe plutôt qu’à l’éclat d’un seul footballeur.

Vingt ans après le premier titre mondial des Bleus, Antoine Griezmann n’a pas marqué un doublé de la tête contre le Brésil. Comme Zinédine Zidane en son temps, le voilà pourtant, lui aussi, décisif en finale du tournoi : l’attaquant a pris part à trois des quatre buts français contre la Croatie (4-2).

Juste avant la mi-temps, un Croate touche le ballon de la main. Le Français transforme le penalty : contre-pied parfait pour redonner l’avantage aux siens. Avant cela, sur coup franc, son ballon malicieux avait entraîné l’ouverture du score : un avant-centre adverse, Mario Mandzukic, le déviait contre son camp. A l’heure de jeu, dos à la défense, Griezmann a cette fois le ballon en mouvement. Un tir en pivot peut s’envisager. Lui préfère la passe. En deux tirs, trois mouvements, son coéquipier Paul Pogba lui donne raison : à l’entrée de la surface, le milieu de terrain accentue l’avance française.

« Bien vivre ensemble »

Il faut voir, à cet instant, tous les remplaçants courir après Pogba comme après un rêve en commun. Une constante, depuis le début du tournoi, selon Griezmann : « Les remplaçants ne boudaient pas, ne s’énervaient jamais. Ils travaillaient pour le collectif, pour que tout aille bien. C’est ce qui a fait notre force. » Il faut aussi les voir après match, tous ces jeunes hommes, ceints d’un drapeau tricolore, courir sur la pelouse comme dans une cour de récréation. Les voir, enfin, dans la joie et les bonnes clameurs, chahuter la conférence de presse de Didier Deschamps : « Ils sont jeunes », sourit le sélectionneur, qui peut bien permettre cette fredaine.

« Antoine, au-delà de toutes ses qualités, a beaucoup d’humilité. Il sait très bien qu’il existe à travers un collectif »

Deschamps insiste sur la notion de « bien vivre ensemble ». Un mot à la mode pour décrire une logique déjà opérante, en réalité, lors du titre de 1998 : à l’époque, « DD » soulevait le Mondial en tant que capitaine des Bleus. « Antoine, au-delà de toutes ses qualités, a beaucoup d’humilité, apprécie-t-il. Il sait très bien qu’il existe à travers un collectif. »

S’il les fête bien sûr en équipe, le n° 7 français a une manière distinctive de célébrer ses buts. Sur les terrains de Russie, la même gestuelle à chaque fois. Ses montées de genoux pourraient ressembler à une danse cosaque. Elles reprennent en fait la chorégraphie inspirée d’un jeu vidéo. Depuis le début de l’été, promis, le jeune homme « reste le même ».

Sur le terrain, le footballeur concède peut-être un léger changement. En 2016, il terminait meilleur buteur de l’Euro, mais perdait en finale : défaite à domicile contre le Portugal. Deux ans plus tard, l’avant-centre marque moins, mais défend plus : « Je veux l’étoile et, si j’ai l’étoile, je m’en fous du [style] de jeu », revendiquait-il dès avant la finale. Les Bleus de Deschamps laissent davantage le ballon à l’adversaire, et l’avant-centre assume. Court dans le vide. Se replie autant que nécessaire. « La défense, dans notre style de jeu, avec les joueurs qu’on a, reste le plus important. »

« Etat d’esprit »

« Grizou » – qui préfère le surnom de « Grizi » – avait jusque-là marqué seulement trois fois dans ce Mondial. En quarts de finale, d’une frappe hors de la surface, il profitait d’une bévue du gardien uruguayen. Sur penalty (déjà), il ouvrait le score contre l’Argentine en huitièmes, et l’Australie en phase de poule. Pour faire bonne mesure, rappelons aussi ses deux passes décisives : sur coup franc pour la tête de Raphaël Varane contre l’Uruguay ; sur corner pour celle d’un autre défenseur contre la Belgique, Samuel Umtiti, en demi-finales.

« Nos enfants vont être fiers de porter nos noms »

Sur la pelouse du stade Loujniki, le jeune père a aussi célébré le titre avec sa fille Mia, 2 ans. Le joueur pensait encore à elle, devant les journalistes, à l’instant d’entrer « dans l’histoire du football français » : « Nos enfants vont être fiers de porter nos noms. » Des noms de champions du monde. « On essaie de donner une bonne image de la France, des joueurs français, on espère que beaucoup de jeunes ont vu ce match et feront pareil. »

Antoine Griezmann avait 7 ans en 1998, ce qui fait déjà de lui l’un des plus âgés de ce jeune groupe. Sans transformer à nouveau cette équipe en symbole politique d’une France « black-blanc-beur », le joueur voit tout simplement en cette sélection « une France qu’on aime » : un groupe avec « beaucoup de joueurs d’origines différentes », mais avec « un état d’esprit » positif, cette envie partagée de « tous jouer pour ce même maillot, pour ce coq et pour ce pays ».

Il y a un paradoxe dans tout cela. Antoine Griezmann vient peut-être de Mâcon, en Saône-et-Loire. Mais l’adolescent a construit toute sa carrière en Espagne, loin de ces centres de formation français qui invoquaient son petit gabarit comme une grande raison de refus. Le blondinet a d’abord rallié la Real Sociedad. Puis l’Atlético Madrid, vainqueur de la Ligue Europa au mois de mai contre Marseille, déjà grâce à un doublé du Français. Griezmann refuse de rêver en public à un éventuel « Ballon d’or », le trophée qui récompense en décembre le meilleur joueur de l’année. L’urgence étant plutôt, selon ses mots, « à kiffer le titre avec tous les Français ».