Sur les Champs-Elysées, à Paris, le 15 juillet. / CHARLES PLATIAU / REUTERS

Editorial du « Monde ». Dès le coup de sifflet final, une fantastique liesse s’est emparée de la France entière. Une ribambelle de supporteurs, fraternels et joyeux, ont célébré la victoire des Bleus, qui ont remporté, dimanche 15 juillet au stade Loujniki de Moscou, une deuxième Coupe du monde en battant (4-2) l’équipe de Croatie. D’un bout à l’autre du pays, la fête a été totale. De Paris – avec des Champs-Elysées en folie – à Marseille, en passant par Lille, Nantes, Rennes, Strasbourg, Montpellier ou La Réunion, tout un peuple, laissant pour un temps de côté ses querelles et ses divisions, a fait un rêve en bleu. Ce moment est d’autant plus précieux qu’il rassemble, dans toute sa diversité, à coups de drapeaux tricolores et de Marseillaise, un pays traumatisé par la succession d’attentats commis sur son sol depuis janvier 2015 et l’attaque contre Charlie Hebdo.

La France a ainsi exprimé sa fierté et sa reconnaissance à des Bleus venus de loin, qui, en retour, lui ont dédié leur victoire et ont même salué « la République ». Au début de ce Mondial en Russie, les Bleus de Didier Deschamps, jeunes (26 ans de moyenne d’âge) et relativement inexpérimentés, étaient loin d’être favoris. A ces joueurs, issus pour la plupart des banlieues populaires de la région parisienne, il a fallu beaucoup de sueur, de larmes et même de souffrance pour faire triompher leur sens du collectif et de la solidarité. La réussite de Didier Deschamps, le capitaine victorieux de 1998, s’est aussi appuyée sur un « ascenseur social » qui a bien fonctionné : le repérage, la formation et la promotion des jeunes talents du football français, grâce à un tissu de clubs et d’éducateurs que les masses d’argent qui pèsent sur ce sport n’a jamais fait craquer. La précoce éclosion de Kylian Mbappé, 19 ans, en est un brillant exemple.

Regonfler le moral

Ce moment de bonheur collectif apporte aussi un cinglant démenti aux théoriciens rances d’une obsession nationale fondée sur le nom de famille ou la couleur de peau. Pour ces Bleus, aux parcours et aux origines multiples, qui se sont drapés dans des drapeaux tricolores, l’appartenance à la communauté nationale va de soi. En même temps, le pays ne va pas être transfiguré par cette seconde étoile. L’histoire a montré la fugacité de ces instants d’union nationale. L’euphorie provoquée par la victoire de 1998 n’a pas empêché, en 2002, Jean-Marie Le Pen de se qualifier au second tour de l’élection présidentielle. En 2005, l’explosion dans les banlieues a montré la persistance des fractures urbaines et sociales. Et l’esprit du 11 janvier 2015 s’est vite évanoui.

La France ne va pas se métamorphoser comme par enchantement. Les inégalités sociales ne vont pas s’effacer, le chômage de masse et la précarité ne vont pas disparaître. Les querelles et les polémiques qui sont notre lot quotidien vont vite réapparaître. La magie d’une gloire sportive est fugitive et ne suffit pas, à elle seule, à rétablir la cohésion sociale. Mais, pour autant, la France aurait tort de bouder son plaisir. Dans un climat politiquement et socialement morose, la victoire de l’équipe de France est susceptible de regonfler le moral des Français. Elle est un signe de confiance en sa jeunesse et offre une salutaire bouffée d’optimisme.