Paul Pogba pose pour un selfie avec un supporteur, juste avant de monter dans l’avion pour rejoindre Paris. / SERGEI KARPUKHIN / REUTERS

Des entraînements à Clairefontaine jusqu’à leur retour glorieux sur les Champs-Elysées, les Français ont pu vibrer au quotidien avec leurs héros. Chaque jour, les footballeurs ont partagé leurs moments de vie collective sur leurs comptes personnels et ont su s’adresser à leur public. Et on doit bien convenir qu’il est difficile de ne pas trouver leur communication réussie et terriblement efficace (même si le goût de la victoire a sans nul doute contribué à faire de leurs posts des succès).

L’image de Kylian Mbappé embrassant le trophée, postée par le joueur bondynois sur son compte Twitter moins d’une heure après avoir décroché la seconde étoile, a été partagée plus de 180 000 fois en moins de vingt heures. Peu de twittos peuvent se prévaloir d’atteindre régulièrement ce nombre impressionnant de likes et de partages, surtout avec une telle rapidité. Chez les Bleus, c’est pourtant une habitude.

Champion du monde en 1998, devenu chroniqueur pour le journal L’Equipe et commentateur sur TF1, Bixente Lizarazu totalise près de 310 000 abonnés, après six années passées sur le réseau de Jack Dorsey. Le Mâconnais Antoine Griezmann a, lui aussi, créé son compte Twitter en novembre 2012, mais est désormais suivi par plus de 5,3 millions de followers, soit dix-sept fois plus que son aîné.

Plus de 10 millions d’abonnés sur Instagram

Très influents sur le site de microblogging, les Bleus le sont encore davantage sur Instagram. Leurs photos, ainsi que leurs courtes vidéos, passionnent et les fans s’abonnent. Résultat : des chiffres qui donnent le tournis. Kylian Mbappé est suivi par plus de 13 millions de comptes, Antoine Griezmann par plus de 19 millions, et Paul Pogba par près de 26 millions. Seul le capitaine de l’équipe de France, le réservé gardien Hugo Lloris, ne dépasse pas le million d’abonnés. En cause ? L’ouverture tardive de son compte, en février, sûrement provoquée par la perspective de la compétition, et le faible nombre de publications, moins d’une vingtaine en six mois.

Mais au-delà des chiffres, c’est surtout la manière dont les joueurs ont su utiliser les réseaux sociaux pour montrer une ambiance bon enfant, amicale et soudée, qui a marqué les esprits. A la lecture des centaines de messages publiés par les joueurs de l’équipe de France, on ne trouve en effet aucun règlement de comptes – au contraire, les joueurs ont aussi utilisé leurs comptes pour désamorcer des rumeurs de tensions ou de blessures. Que ce soit Pogba et Mbappé moquant Griezmann à l’heure de la sieste, Presnel Kimpembé – seulement titularisé pour France-Danemark – mettant l’ambiance avec sa playlist et son enceinte portable dans le bus tricolore, ou encore Raphaël Varane embrassant la Coupe, avec son fils Ruben dans les bras, ces à-côtés précieux leur permettent d’apparaître profondément humains.

On a donc eu, durant toute la compétition, l’impression d’assister à une nouvelle édition du documentaire à succès Les Yeux dans les Bleus, en direct, cette fois. Des images de « coulisses » très avidement scrutées par… les médias, coincés entre la communication « officielle », très contrôlée et très cadrée, et ces instants de vie quotidienne. Les scènes de liesse dans les vestiaires après la victoire contre la Croatie, diffusées par les joueurs sur Snapchat ou Instagram, ont ainsi été reprises telles quelles par des télévisions nationales dimanche soir.

Changement d’époque

L’époque a bien changé depuis 2014 – quatre ans seulement après la débâcle de Knysna –, quand le sélectionneur déconseillait à ses joueurs de publier des messages sur Facebook ou Twitter. En 2018, les règles étaient simples : aucune interdiction, mais « pas de portable à table, ni dans le vestiaire lors des entraînements ou avant les matchs », détaillait Guy Stephan, l’entraîneur adjoint des Bleus, à France Télévisions.

L’âge des joueurs de cette sélection, qui ont grandi avec les réseaux sociaux et sont quasiment aussi à l’aise dans cet environnement que sur le terrain, semble avoir fait le reste. Pas parce que les jeunes joueurs seraient instinctivement doués pour les réseaux sociaux, mais parce qu’ils ont parlé à leurs supporteurs en utilisant les codes et les pratiques de réseaux qu’ils pratiquent réellement au quotidien.

Stickers, clins d’œil, jeux de mots, blagues potaches, photos marquantes, tout dans leurs messages respirait le naturel. A côté, les messages publiés par la Fédération française de football (FFF) et les comptes officiels de l’équipe de France étaient plus institutionnels… et complémentaires. Quand le compte de la FFF diffuse une interview classique de son président après la victoire, Paul Pogba publie une photo de lui faisant un dab (signe de victoire popularisé par des sportifs américains), la coupe entre les mains.

Résultat, l’équipe de France a donné, durant toute la compétition, l’impression de former un groupe sans faux-semblant, qui se comportait de la même manière en ligne et hors ligne. Une adéquation incarnée, d’une certaine manière, par Antoine Griezmann : après son penalty réussi contre l’Argentine, il a réalisé, sur le terrain, une petite danse de la victoire empruntée au jeu vidéo en ligne à succès Fortnite, dont il est passionné, et plébiscité par des millions d’adolescents et de jeunes adultes en France. Un clin d’œil générationnel, mais aussi le signal que le joueur (de l’équipe de France) est aussi un joueur (de jeux vidéo) comme les autres.