Les joueurs célèbrent leur entraîneur, Didier Deschamps. / KAI PFAFFENBACH / REUTERS

Kylian Mbappé a-t-il seulement pris la mesure de son exploit au moment de soulever la Coupe du monde, dimanche 15 juillet, dans le ciel pluvieux du stade Loujniki de Moscou ? Hilare sous une nuée de confettis dorés, l’insouciant attaquant des Bleus semblait avoir oublié jusqu’à son âge, 19 ans, et sa date de naissance, le 20 décembre 1998. Le prodige était donc encore bien au chaud dans le ventre de sa mère quand son sélectionneur Didier Deschamps terrassait (3-0) le Brésil et remportait le tournoi planétaire, le brassard de capitaine des Tricolores au bras.

Deux décennies après le sacre de Zidane et consorts, voici que Mbappé a accroché une deuxième étoile au maillot de l’équipe de France en renversant (4-2) la bluffante Croatie de Luka Modric au terme d’une finale totalement débridée. D’une imparable frappe à ras de terre, l’ailier du Paris-Saint-Germain (PSG) s’est même payé le luxe d’inscrire son quatrième but de la compétition et de parachever la victoire des Bleus contre une sélection à damier usée jusqu’à la corde par ses trois prolongations avalées sur la route de Moscou.

« Nous serons dans l’histoire à jamais », a déclaré avec componction, entre deux pas de danse, le chef de file de la nouvelle vague – élu au passage meilleur jeune joueur du tournoi – qui vient d’installer le football français sur le toit du monde pour quatre années.

Une machine à gagner

Deuxième plus jeune buteur en finale de Coupe du monde derrière le Brésilien Pelé, auteur d’un doublé lors de l’édition suédoise de 1958 à 17 ans et huit mois, Mbappé renvoie au pari fou que s’était lancé Deschamps : faire d’une sélection « verte » (26 ans de moyenne d’âge) et relativement inexpérimentée une machine à gagner. « J’avais un groupe très jeune, quatorze des vingt-trois joueurs découvraient une Coupe du monde. C’était un peu l’inconnu mais ils l’ont fait », a souligné le Bayonnais. Ce dernier est devenu le troisième homme – après le Brésilien Mario Zagallo et l’Allemand Franz Beckenbauer – à remporter le tournoi comme joueur puis sélectionneur.

Qui aurait pu pourtant prédire le sacre de cette jeunesse conquérante, incarnée par les arrières latéraux Benjamin Pavard et Lucas Hernandez (22 ans), après son entame de tournoi laborieuse, le 16 juin, face à l’Australie ? Ce jour-là, Deschamps n’avait aligné que trois joueurs de plus de 25 ans. La courte victoire (2-1) acquise contre les Socceroos l’avait poussé à revoir son système de jeu et à sortir ses grognards Olivier Giroud et Blaise Matuidi (31 ans) du placard pour muscler sa formation.

Les ajustements opérés lors du succès (1-0) obtenu dans la sueur et les larmes face au Pérou, le 21 juin, ont marqué un tournant décisif. Tel un général à la tête de dociles soldats, Deschamps a alors transformé son équipe en un commando discipliné et prêt à endurer les pires souffrances pour aller jusqu’au bout.

Montée en puissance

Le 30 juin, en huitièmes de finale, la victoire échevelée (4-3) des Bleus contre l’Argentine de Lionel Messi a témoigné de leur montée en impuissance sur le plan athlétique. Ce fut le triomphe de l’endurance, de la hargne et de la vitesse. L’infatigable milieu N’Golo Kanté a alors incarné les vertus d’une préparation physique intense, pensée pour permettre aux Tricolores de décoller à partir des matchs à élimination directe.

Stratège génial, abreuvé de rapports d’observation et de montages vidéo réalisés par son staff, Deschamps s’est continuellement adapté au jeu de l’adversaire pour préparer ses échéances. « Toutes les chances sont mises de notre coté, pour qu’on sache exactement ce qu’on a à faire sur le terrain », a expliqué l’avant-centre Olivier Giroud, qui n’aura donc jamais fait trembler les filets en Russie, passant le plus clair de son temps à s’époumoner pour presser l’adversaire.

Fils spirituel de l’ex-sélectionneur Aimé Jacquet, sacré sur le banc vingt ans avant lui, Deschamps s’est appuyé sur un bloc ultra-défensif et des joueurs offensifs capables de se projeter et de tuer la rencontre sur des contre-attaques assassines.

La victoire acquise tout en maîtrise contre l’Uruguay (2-0) le 6 juillet, en quarts, a mis en relief cette impressionnante solidité doublée d’un réalisme insolent devant la cage adverse. Sous le règne de Deschamps, marqué du sceau du pragmatisme, cette équipe de France a parfois été particulièrement caricaturale, donnant l’impression de refuser le jeu et de subir pour mieux surprendre l’adversaire. Ce fut le cas contre la très spectaculaire Belgique de ce fin dribbleur d’Eden Hazard, le 10 juin, en demi-finales. Au point que les Diables rouges, mauvais perdants (0-1) et écœurés par la stratégie de démolition des Tricolores, les ont vertement dépeints en gagne-petit.

« Vous pouvez poser la question, sommes-nous de beaux champions du monde ? On est champion du monde, c’est ce qu’il faut retenir, a insisté Deschamps, porté en triomphe et aspergé de champagne par ses protégés. On a fait les choses mieux que les autres, avec plus de maîtrise. Les joueurs n’ont jamais rien lâché. »

« Cohésion »

Deux ans après sa défaite (0-1 après prolongation) en finale de l’Euro 2016 contre le Portugal, le technicien a pu également s’appuyer sur ses cadres pour prendre sa revanche. Personne ne peut reprocher au gardien Hugo Lloris sa bourde, en finale, sur le but tardif de Mario Mandzukic, qui relève de l’anecdote. Acrobatique sur sa ligne, le capitaine aux 104 sélections a notamment sauvé ses troupes contre l’Uruguay en réalisant la parade du tournoi sur une tête à bout portant de Martin Caceres. Sous des trombes d’eau, il est devenu le deuxième capitaine français à se voir remettre le trophée de la Coupe du monde, vingt ans après son sélectionneur.

La charnière centrale composée de Raphaël Varane et de Samuel Umtiti a aussi tenu la baraque. Maîtres des airs, les deux défenseurs se sont même mués en buteurs providentiels : le premier a débloqué la situation contre l’Uruguay d’un joli coup de tête, le second a ouvert (du crâne également) à ses partenaires, face à la Belgique, les portes de la finale. Quant aux milieux Blaise Matuidi, N’Golo Kanté et Paul Pogba, auteur du troisième but – celui de la délivrance – contre la Croatie, ils ont été le rouage essentiel de la machine tricolore. Et que dire d’Antoine Griezmann, leader technique tourné vers le collectif ?

Désigné meilleur joueur de la finale, ce dernier a loué la « cohésion » au sein de l’effectif français, se fendant d’un énième « le groupe vit bien. » Dans le huis clos du camp de base d’Istra, Deschamps aura enfilé son costume de DRH tout en maniant la carotte et le bâton : « J’ai parfois été dur mais c’est pour leur bien. Le management, la psychologie, ça fait partie de mon métier. On a passé cinquante-cinq jours ensemble et il n’y a pas eu le moindre problème. »

Avant de regagner l’Hexagone avec ses joueurs pour parader, lundi 16 juillet après-midi, sur les Champs-Elysées, Deschamps a confirmé qu’il irait au terme de son mandat, fixé à l’Euro 2020. « Je suis convaincu que mes joueurs seront plus forts dans deux, quatre ans », a promis le sélectionneur, sous les vivats des journalistes. Des honneurs dus à son rang de « double » champion du monde.